pays auquel ils avaient demande l'hospitalite, le
travail ou la fortune: on ne parlait que de la corruption de "la grande
Babylone", de ses ridicules, de son immoralite, de ses vices, de sa
pourriture. Pourquoi se serait-on gene devant le colonel Chamberlain?
N'etait-il pas citoyens des Etats-Unis?
Mais ce citoyen des Etats-Unis se laissa aller un jour a repliquer a ces
litanies:
--Si la France est le pays d'abomination que vous pretendez, dit-il,
pourquoi y venez-vous ou plutot pourquoi y restez-vous?
On se mit a rire de ce rire bruyant et formidable qui n'appartient qu'a
la race germanique.
Alors le correspondant d'un journal de Berlin, qui ne manquait jamais
d'annoncer, dans ses revues du monde parisien, que mademoiselle Ida
Lazarus "avait ete la reine de la soiree", prit la parole.
--Personne ne conteste les qualites de la France, dit-il avec un flegme
imperturbable, et tous nous reconnaissons qu'elle est le premier pays
du monde pour les couturieres, pour les coiffeurs, pour les cuisiniers,
pour les modistes, pour les jolies petites dames, pas begueules du tout.
Les rires recommencerent de plus belle.
--Et les soldats? dit le colonel agace.
Les rires s'arreterent, mais on se regarda avec des sourires discrets.
Le baron, qui n'avait rien dit, voyant le colonel pique, leva la main,
et tout le monde garda le silence.
--Cela, dit-il, c'est une plaisanterie, soyez sur que nous rendons
justice aux Francais, et il serait a souhaiter que les Francais fussent
aussi equitables pour nous que nous le sommes pour eux. Nous les
traitons en freres et eux nous regardent comme des ennemis qu'ils
devoreront un jour ou l'autre; quand nous nous plaignons de la France,
c'est que nous avons peur d'elle.
Mais, ne s'en tenant pas a ces paroles d'apaisement, il voulut prendre
ses precautions pour l'avenir et ne pas exposer le colonel a entendre
des propos qui pouvaient le facher. Quand celui-ci se leva pour se
retirer, il l'accompagna.
--Pourquoi donc venez-vous nous voir le mardi? dit-il; c'est mon jour de
reception, et vous vous rencontrez avec une societe melangee, que mes
affaires m'obligent a recevoir, Le jeudi et le samedi, au contraire, je
reste en tete-a-tete avec ma fille; c'est la soiree de la famille.
Quand vous serez libre et que vous voudrez bien nous faire l'amitie
d'une visite, venez un de ces jours-la, nous serons tout a fait entre
nous. Il y a des heures ou il me semble qu'on doit avoir besoin d
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