lagement:
--Enfin, tout n'est pas perdu!
Vivement il se leva de sa chaise pour courir au devant de lui, les deux
mains ouvertes.
--Ce cher ami! Savez-vous que je desesperais presque de vous revoir ici?
Vous aviez refuse mes invitations avec une telle perseverance, que
je vous croyais fache; mais vous venez; soyez le bienvenu, soyez le
bienvenu.
Devant un pareil accueil, le colonel n'osa pas avouer tout de suite la
raison vraie qui l'amenait rue du Colisee.
Il causa de choses insignifiantes, et, quand le baron lui demanda s'il
ne voulait pas, avant de se retirer, faire une visite de quelques
minutes a sa chere Ida, il ne put pas refuser.
Il fit donc cette visite, qui ne fut pas de quelques minutes, comme
l'avait propose le baron, mais de pres d'une heure; car, chaque fois
qu'il voulut se lever, le baron ou Ida aborderent un nouveau sujet qui
l'obligeait a rester.
Ce fut seulement quand le baron le reconduisit a la porte de sortie,
qu'il put aborder le sujet qu'il l'avait amene.
--A propos, connaissez-vous un journal allemand portant pour titre le
_Volkstaat_?
Le baron ouvrit la bouche pour repondre; mais, se ravisant, il la
referma aussitot et parut chercher.
--Le _Volkstaat_, le _Volkstaat_, dit-il.
--C'est, je crois, un journal ouvrier, fait par les ouvriers pour les
ouvriers.
--Eh bien! il y a un moyen tres simple pour que vous ayez votre
renseignement, c'est que j'ecrive a mes correspondants de Dresde et
de Leipzig. C'est aujourd'hui lundi: j'ecris ce soir, je recois les
reponses vendredi, et vous venez diner avec nous samedi.
Comme le colonel repondait par un refus aussi poli que possible:
--Me suis-je trompe? dit le baron, etes-vous reellement fache contre
moi?
--Mais, comment pouvez-vous penser?...
--Non, vous n'etes pas fache. Alors, vous venez diner, c'est chose
convenue, ou bien, si vous refusez, je n'ecris pas. Faut-il ecrire?
--Ecrivez, je vous prie.
--Alors, a samedi, en tout petit comite, deux amis seulement et nous.
Ceux que le baron appelait ses amis, etaient a proprement parler des
comperes dont le role consistait a rendre le diner attrayant: l'un,
homme d'esprit et du meilleur; l'autre, gourmet celebre. Tous deux
allant en ville et jouant chaque soir leur role, sans jamais un moment
de lassitude: celui-ci mettant les convives en belle humeur, et celui-la
les mettant en appetit; avec cela, depuis longtemps insensibles aux
seductions feminines, et par la incapa
|