avait bien conscience que maintenant elle
etait a jamais perdue pour lui, il osa pour la premiere fois s'avouer
en toute franchise le sentiment qu'elle lui avait inspire, et le
reconnaitre pour ce qu'il etait.
Reflechissant ainsi, et passant d'autant plus rapidement d'une idee a
une autre, que celle qu'il abordait ne lui etait pas moins penible que
celle qu'il venait de rejeter, il arriva rue de Charonne.
En traversant la cour, il revit Therese marchant legerement,
joyeusement, pres de lui, le jour ou il etait venu la prendre en voiture
pour la conduire aux courses. Comme elle etait charmante alors!
En arrivant devant la porte de son oncle, il entendit le bruit d'une
voix qui paraissait lire dans l'atelier.
Il poussa la porte.
Denizot, perche sur l'etabli d'Antoine et portant son pierrot sur
sa tete, faisait a hante voix la lecture d'un livre a Michel qui
travaillait.
--Ah! Monsieur Edouard, s'ecria Denizot en degringolant si vivement de
son etabli, que l'oiseau, effraye, s'envola; en voila une surprise, et
une bonne!
Michel, non moins vivement, quitta son travail pour venir tendre la main
au colonel; la surprise paraissait etre tout aussi heureuse pour lui que
pour Denizot.
--Ma foi! dit Denizot, il etait ecrit que nous devions nous voir
aujourd'hui, car je devais aller chez vous ce soir; j'y serais meme alle
dans la journee, si je n'etais pas reste pour faire la lecture a Michel
pendant qu'il travaille. Voyez-vous, le temps nous est long maintenant,
et les livres nous aident a le passer moins tristement. Nous avons des
nouvelles d'Antoine.
--C'etait precisement pour vous demander des nouvelles de mon oncle
et... (il s'arreta) que je venais vous voir.
--Voici la lettre, dit Michel.
Mon cher Michel,
Je voulais t'ecrire par une occasion sure, ce qui m'aurait permis de
causer avec vous en toute liberte; mais, cette occasion tardant a
partir, je ne veux pas te laisser plus longtemps sans nouvelles;
car, depuis que tu sais que nous avons quitte Bale, sans savoir
aussi ce que nous sommes devenus, tu dois te tourmenter d'autant
plus que la patience n'a jamais ete ta premiere vertu.
J'use donc tout simplement de la poste, comme tout le monde;
seulement, n'ayant en elle qu'une faible confiance et croyant qu'il
est tres possible, tres probable meme que les lettres qui arrivent
rue de Charonne, adressees a ton nom, sont soumises a une
surveillance dest
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