ouvriers travaillaient a tout preparer pour ce
mariage qui ne se ferait pas, lui pesait sur la poitrine, leurs coups de
marteau l'exasperaient.
Quand parfois il traversait les pieces ou ils achevaient leur besogne,
il lui semblait qu'ils cessaient de chanter pour le regarder d'une facon
etrange: les uns comme s'ils le plaignaient, les autres comme s'ils se
moquaient de lui.
Il etait parti de chez lui a pied, et, par le boulevard Haussmann et les
boulevards, il s'etait mis en route pour le faubourg Saint-Antoine.
C'etait l'heure ou le _tout Paris_ qui respecte les exigences de la
tradition et les observe religieusement comme article de foi, se dirige
vers le bois de Boulogne. Le colonel n'avait pas fait cinq cents pas,
qu'il avait croise vingt voitures dans lesquelles se trouvaient des
personnes qui l'avaient salue; car il faisait lui-meme partie de ce
_tout Paris_, dont il etait une des individualites les plus connues, et
les gens du monde qui n'avaient pas eu de relations intimes avec lui,
savaient au moins qui il etait.
Tout d'abord il avait rendu ces saluts, sans y apporter grande
attention; mais bien vite il avait remarque qu'on le regardait avec une
curiosite peu ordinaire; les yeux s'attachaient sur lui avec fixite; on
se penchait vers son voisin pour l'entretenir a l'oreille, les femmes
souriaient.
En arrivant a la place de la Madeleine, un personnage pour lequel il
avait fort peu de sympathie, malgre les protestations d'amitie
dont celui-ci l'accablait en toute circonstances, le vicomte de
Sainte-Austreberthe, lui barra le passage et l'aborda presque de force.
--Eh bien! mon cher colonel!
--Eh bien! monsieur le vicomte? repondit froidement le colonel.
--Voyons ce n'est pas indiscret, n'est-ce pas?
--Qui est indiscret?
--De vous adresser une felicitation?
--Et a propos de quoi, je vous prie?
--A propos de votre mariage... qui ne se fait pas.
Le colonel se redressa et regarda Sainte-Austreberthe de telle sorte que
tout autre, a la place de celui-ci, eut ete deconcerte et peut-etre meme
jusqu'a un certain point inquiete.
Mais le vicomte ne s'etait jamais laisse deconcerter par rien ni par
personne, et de plus il n'avait jamais pense qu'on pouvait avoir l'idee
de l'intimider: l'herbe n'avait pas encore pousse sur la tombe du
dernier adversaire, M. de Meriolle qu'il avait tue dans un duel celebre,
et le moment eut ete mal choisi pour le faire reculer.
Il se mit a rire, et prenant les
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