ve? Je n'en sais rien; mais pourquoi n'a-t-il pas pu me
suivre ici? Quand j'ai appris la terrible maladie de mon pauvre Laurent,
il n'a pas attendu que je lui dise: "Je pars pour Florence;" il m'a dit:
"Nous partons!" Les vingt nuits que j'ai passees au chevet de Laurent, il
les a passees dans la chambre voisine, et il ne m'a jamais dit: "Vous vous
tuez!" mais seulement: "Reposez-vous un peu afin de pouvoir continuer."
Jamais je n'ai vu en lui l'ombre de la jalousie. Il semblait qu'a ses yeux
je n'en pusse jamais trop faire pour sauver ce fils ingrat que nous avions
comme adopte a nous deux. Il sentait bien, ce noble coeur, que sa
confiance et sa generosite augmentaient mon amour pour lui, et je lui
savais un gre infini de le comprendre. Par la, il me relevait a mes
propres yeux, et il me rendait fiere de lui appartenir.
"Eh bien donc, pourquoi ce caprice ou cette impossibilite au dernier
moment? Un obstacle imprevu? Avec la volonte dont je le sais doue, je ne
crois guere aux obstacles; il semble plutot qu'il ait voulu m'eprouver.
Cela m'humilie, je l'avoue. Helas! je suis devenue affreusement
susceptible depuis que je suis dechue! N'est-ce pas dans l'ordre? lui qui
comprenait tout, pourquoi n'a-t-il pas compris cela?
"Ou bien peut-etre a-t-il fait un retour sur lui-meme et s'est-il dit
enfin tout ce que je lui disais dans le principe pour l'empecher de songer
a moi: qu'y aurait-il la d'etonnant? J'avais toujours connu Palmer pour un
homme prudent et raisonnable. En decouvrant en lui des tresors
d'enthousiasme et de foi, j'ai ete bien surprise. Ne pourrait-il pas etre
un de ces caracteres qui s'exaltent en voyant souffrir, et qui se mettent
a aimer passionnement les victimes? C'est un instinct naturel aux gens
forts, c'est la sublime pitie des coeurs heureux et purs! Il y a eu des
moments ou je me disais cela pour me reconcilier avec moi-meme, quand
j'aimais Laurent, puisque c'est sa souffrance, avant tout et plus que tout,
qui m'avait attachee a lui!
"Tout ce que je vous dis la, chere bien-aimee, je n'oserais pourtant le
dire a Richard Palmer, s'il etait la! Je craindrais que mes doutes ne lui
fissent un chagrin affreux, et me voila bien embarrassee, car ces doutes,
je les ai malgre moi, et j'ai peur, sinon pour aujourd'hui, du moins pour
demain. Ne va-t-il pas se couvrir de ridicule en epousant une femme qu'il
aime, dit-il, depuis dix ans, a qui il n'en a jamais dit le premier mot,
et qu'il se decide a attaquer le
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