percevoir, et je me suis trouve de retour a mon hotel, ou, en voulant
serrer mon livre de nouveau dans ma malle, j'ai retrouve les violettes
doubles que tu avais semees dans ma cabine du _Ferruccio_ au moment de nos
adieux. Je les avais ramassees une a une avec soin, et je les gardais
comme une relique; mais voila qu'elles m'ont fait pleurer comme une
gouttiere, et, en regardant mon gilet neuf, qui avait ete le principal
evenement de ma matinee, je me suis dit:
"--Voila pourtant l'enfant que cette pauvre femme a aime!"
Ailleurs, il disait:
"Tu m'as fait promettre de soigner ma sante, en me disant: "Puisque c'est
moi qui te l'ai rendue, elle m'appartient un peu, et j'ai le droit de te
defendre de la perdre." Helas! ma Therese, que veux-tu donc que j'en fasse,
de cette maudite sante qui commence a m'enivrer comme le vin nouveau? Le
printemps fleurit, et c'est la saison d'aimer, je le veux bien; mais
depend-il de moi d'aimer? Tu n'as pu m'inspirer le veritable amour, toi,
et tu crois que je rencontrerai une femme capable de faire le miracle que
tu n'as pas fait? Ou la trouverai-je, cette magicienne? Dans le monde? Non,
certes: il n'y a la que des femmes qui ne veulent rien risquer ou rien
sacrifier. Elles ont bien raison certainement, et tu pourrais leur dire,
ma pauvre amie, que ceux a qui l'on se sacrifie ne le meritent guere; mais
moi, ce n'est pas ma faute si je ne peux pas plus me resoudre a partager
avec un mari qu'avec un amant. Aimer une demoiselle? l'epouser alors? Oh!
pour le coup, Therese, tu ne peux pas penser a cela sans rire... ou sans
trembler. Moi, enchaine de par la loi, quand je ne peux pas seulement
l'etre par ma propre volonte!
"J'ai eu jadis un ami qui aimait une grisette et qui se croyait heureux.
J'ai fait la cour a cette fidele amante, et je l'ai eue pour une perruche
verte que son amant ne voulait pas lui donner. Elle disait naivement:
"Dame! c'est sa faute, a _lui_; que ne me donnait-il cette perruche!" Et,
depuis ce jour-la, je me suis promis de ne jamais aimer une femme
entretenue, c'est-a-dire un etre qui a envie de tout ce que son amant ne
lui donne pas.
"Alors, en fait de maitresse, je ne vois plus qu'une aventuriere, comme on
en rencontre sur les chemins, et qui sont toutes nees princesses, mais qui
ont eu _des malheurs_. Trop de malheurs, merci! Je ne suis pas assez riche
pour combler les abimes de ces passes-la.--Une actrice en renom? Cela m'a
tente souvent; mais il faudrait que m
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