Elle n'y etait pas entrainee par les sens, car Laurent,
souille par la debauche ou il se replongeait pour tuer un amour qu'il ne
pouvait eteindre par sa volonte, lui etait devenu un objet de degout pire
qu'un cadavre. Elle n'avait plus de caresses pour lui, et il n'osait plus
lui en demander. Elle n'etait plus vaincue et dominee par le charme de son
eloquence et par les graces enfantines de ses repentirs. Elle ne pouvait
plus croire au lendemain; et les attendrissements splendides qui les
avaient tant de fois reconcilies n'etaient plus pour elle que les
effrayants symptomes de la tempete et du naufrage.
Ce qui l'attachait a lui, c'etait cette immense pitie dont on contracte
l'imperieuse habitude avec les etres a qui l'on a beaucoup pardonne. Il
semble que le pardon engendre le pardon jusqu'a la satiete, jusqu'a la
faiblesse imbecile. Quand une mere s'est dit que son enfant est
incorrigible, et qu'il faut qu'il meure ou qu'il tue, elle n'a plus rien a
faire qu'a l'abandonner ou a tout accepter. Therese s'etait trompee toutes
les fois qu'elle avait cru guerir Laurent par l'abandon. Il est bien vrai
qu'alors il redevenait meilleur, mais c'etait a la condition d'esperer son
pardon. Quand il ne l'esperait plus, il se jetait a corps perdu dans la
paresse et le desordre. Elle revenait alors pour l'en tirer, et elle
reussissait a le faire travailler pendant quelques jours. Mais combien
elle payait cher ce peu de bien qu'elle parvenait a lui faire! Quand il
revenait au degout d'une vie normale, il n'avait pas assez d'invectives
pour lui reprocher de vouloir faire de lui "ce que _sa patronne Therese
Levasseur_ avait fait de Jean-Jacques," c'est-a-dire, selon lui, "un idiot
et un maniaque."
Et pourtant, dans cette pitie de Therese qu'il implorait si ardemment pour
s'en offenser aussitot qu'elle lui etait rendue, il y avait un respect
enthousiaste et peut-etre meme un peu fanatique pour le genie de
l'artiste. Cette femme, qu'il accusait d'etre bourgeoise et inintelligente
quand il la voyait travailler a son bien-etre a lui avec candeur et
perseverance, elle etait grandement artiste, au moins dans son amour,
puisqu'elle acceptait la tyrannie de Laurent comme etant de droit divin,
et lui sacrifiait sa propre fierte, son propre travail, et ce qu'une autre
moins devouee eut peut-etre appele sa propre gloire.
Et lui, l'infortune, il voyait et comprenait ce devouement, et, lorsqu'il
s'apercevait de son ingratitude, il etait devore de
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