insi jusqu'au soir, railleur, philosophique,
et peu a peu tout a fait impersonnel. On eut dit, a les entendre et a les
voir, deux paisibles amis qui ne s'etaient jamais brouilles. Cette
situation etrange s'etait repetee plusieurs fois au beau milieu de leur
grande crise: c'est que, quand leurs coeurs se taisaient, leurs
intelligences se convenaient et s'entendaient encore.
Laurent eut faim et demanda a diner avec Therese.
--Et votre depart? lui dit-elle. Voici l'heure qui approche.
--Puisque vous ne partez plus, vous!
--Je partirai si vous restez.
--Eh bien, je partirai, Therese. Adieu!
Il sortit brusquement et revint au bout d'une heure.
--J'ai manque le courrier, dit-il, ce sera pour demain. Vous n'avez pas
encore dine?
Therese, preoccupee, avait oublie son repas sur la table.
--Ma chere Therese, lui dit-il, accordez-moi une derniere grace; venez
diner avec moi quelque part, et allons ce soir ensemble a quelque
spectacle. Je veux redevenir votre ami, rien que votre ami. Ce sera ma
guerison et notre salut a tous les deux. Eprouvez-moi. Je ne serai plus ni
jaloux, ni exigeant, ni meme amoureux. Tenez, sachez-le, j'ai une autre
maitresse, une jolie petite femme du monde, menue comme une fauvette,
blanche et fine comme un brin de muguet. C'est une femme mariee, je suis
l'ami de son amant, que je trompe. J'ai deux rivaux, deux dangers de mort
a braver chaque fois que j'obtiens un tete-a-tete. C'est fort piquant, et
c'est la tout le secret de mon amour. Donc, mes sens et mon imagination
sont satisfaits de ce cote-la; c'est mon coeur tout seul et l'echange de
mes idees avec les votres que je vous offre.
--Je les refuse, dit Therese.
--Comment! vous aurez la vanite d'etre jalouse d'un etre que vous n'aimez
plus?
--Certes, non! Je n'ai plus ma vie a donner, et je ne comprends pas une
amitie comme celle que vous me demandez sans un devouement exclusif. Venez
me voir comme mes autres amis, je le veux bien; mais ne me demandez plus
d'intimite particuliere, meme apparente.
--Je comprends, Therese; vous avez un autre amant!
Therese leva ses epaules et ne repondit rien. Il mourait d'envie qu'elle
se vantat d'un caprice, comme il venait de le faire vis-a-vis d'elle. Sa
force abattue se ranimait et avait besoin d'un combat. Il attendait avec
anxiete qu'elle repondit a son defi pour l'accabler de reproches et de
dedains, et lui declarer peut-etre qu'il venait d'inventer cette maitresse
pour la forcer a se
|