es intimes a
son amant, mais encore elle se doit de les lui refuser. L'homme qui les
demande avilit celle qu'il aime. Il exige d'elle une lachete, en meme
temps qu'il la souille dans sa pensee, en associant son image a celle de
tous les fantomes qui l'obsedent. Oui, Therese, tu as raison: il faut
travailler soi-meme a entretenir la purete de son ideal, et, moi, je
m'evertue sans cesse a le profaner et a l'arracher du temple que je lui
avais bati!
Il semblait qu'apres de telles explications, et lorsque Laurent se disait
pret a le signer de son sang et de ses larmes, le calme dut renaitre et le
bonheur commencer. Il n'en etait pas ainsi. Laurent, devore d'une secrete
rage, revenait le lendemain a ses questions, a ses outrages, a ses
sarcasmes. Des nuits entieres se passaient en discussions deplorables, ou
il semblait qu'il eut absolument besoin de travailler son propre genie a
coups de fouet, de le blesser, de le torturer pour le rendre fecond en
maledictions d'une effroyable eloquence, et pour faire atteindre a Therese
et a lui les dernieres limites du desespoir. Apres ces orages, il semblait
qu'il n'y eut plus qu'a se tuer ensemble. Therese s'y attendait toujours
et se tenait prete, car elle prenait la vie en horreur; mais Laurent
n'avait pas encore cette pensee. Accable de lassitude, il s'endormait, et
son bon ange semblait revenir pour bercer son sommeil et mettre sur ses
traits le divin sourire des visions celestes.
Regle invariable, inouie, mais absolue dans cette etrange organisation: le
sommeil changeait toutes ses resolutions. S'il s'endormait le coeur plein
de tendresse, il s'eveillait l'esprit avide de combat et de meurtre, et
reciproquement, s'il etait parti la veille en maudissant, il accourait le
lendemain pour benir.
Trois fois Therese le quitta et s'enfuit loin de Paris; trois fois il
courut apres elle et la forca de pardonner a son desespoir, car aussitot
qu'il l'avait perdue, il l'adorait et recommencait a l'implorer avec
toutes les larmes d'un repentir exalte.
Therese fut a la fois miserable et sublime dans cet enfer ou elle s'etait
replongee en fermant les yeux et en faisant le sacrifice de sa vie. Elle
poussa le devouement jusqu'a des immolations qui faisaient fremir ses amis,
et qui lui valurent quelquefois le blame, presque le mepris des gens
fiers et sages, qui ne savent pas ce que c'est que d'aimer.
Et, d'ailleurs, cet amour de Therese pour Laurent etait incomprehensible
pour elle-meme.
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