tion dans mes heures de spleen. Ce sera ma force
aussi: car ton pauvre enfant est encore bien faible, et, quand il se met a
penser a ce qu'il eut pu etre et a ce qu'il est maintenant pour toi, sa
tete s'egare encore. Mais dis-moi que tu es heureuse et je me dirai avec
orgueil: "J'aurais pu troubler, disputer et peut-etre detruire ce bonheur:
je ne l'ai pas fait. Il est donc un peu mon ouvrage, et j'ai droit
maintenant a l'amitie de Therese."
Therese repondit avec tendresse a son pauvre enfant. C'est sous ce titre
qu'il etait desormais enseveli et comme embaume dans le sanctuaire du
passe... Therese aimait Palmer, du moins elle voulait ou croyait l'aimer.
Il ne lui semblait pas qu'elle put jamais regretter le temps ou, tous les
matins, elle s'eveillait, disait-elle, en regardant si la maison n'allait
pas lui tomber sur la tete.
Et pourtant quelque chose lui manquait, et je ne sais quelle tristesse
s'etait emparee d'elle depuis qu'elle habitait ce livide rocher de
Porto-Venere. C'etait comme un detachement de la vie qui, par moment,
n'etait pas sans charme pour elle; mais c'etait quelque chose de morne et
d'abattu qui n'etait pas dans son caractere et qu'elle ne s'expliquait pas
a elle-meme.
Il lui fut impossible de faire ce que Laurent lui demandait a propos de
Palmer: elle lui en fit brievement le plus grand eloge et lui dit de sa
part les choses les plus affectueuses; mais elle ne put se resoudre a le
prendre pour confident de leur intimite. Elle repugnait a faire part de sa
veritable situation, c'est-a-dire a confier des engagements sur lesquels
elle ne s'etait pas dit a elle-meme son dernier mot. Et, quand meme elle
eut ete fixee, n'eut-il pas ete trop tot pour dire a Laurent: "Vous
souffrez encore, tant pis pour vous! moi, je me marie!"
L'argent qu'elle attendait n'arriva qu'au bout de quinze jours. Elle fit
de la dentelle pendant quinze jours avec une perseverance qui desolait
Palmer. Lorsqu'elle se vit enfin a la tete de quelques billets de banque,
elle paya largement sa bonne hotesse et se permit de sortir avec Palmer
pour se promener autour du golfe; mais elle desira rester a Porto-Venere
encore quelque temps, sans trop pouvoir expliquer pourquoi elle tenait a
cette morne et miserable residence.
Il est des situations morales qui se sentent mieux qu'elles ne se
definissent. C'est avec sa mere que Therese venait a bout, dans ses
lettres, de s'epancher.
"Je suis encore ici, lui ecrivait-elle au mois de
|