nd l'amour et la foi d'autrui lui faisaient
banqueroute, elle avait le juste orgueil de ne pas disputer lambeau par
lambeau le pacte dechire. Elle se plaisait meme alors a l'idee de rendre
genereusement et sans reproche l'independance et le repos a qui les
reclamait.
Mais elle etait devenue beaucoup moins forte que dans sa premiere jeunesse,
en ce sens qu'elle avait recouvre le besoin d'aimer et de croire,
longtemps assoupi en elle par un desastre exceptionnel. Elle s'etait
longtemps imagine qu'elle vivrait ainsi, et que l'art serait son unique
passion. Elle s'etait trompee, et elle ne pouvait plus se faire
d'illusions sur l'avenir. Il lui fallait aimer, et son plus grand malheur,
c'est qu'il lui fallait aimer avec douceur, avec abnegation, et satisfaire
a tout prix cet elan maternel qui etait comme une fatalite de sa nature et
de sa vie. Elle avait pris l'habitude de souffrir pour quelqu'un, elle
avait besoin de souffrir encore et, si ce besoin etrange, mais bien
caracterise chez certaines femmes et meme chez certains hommes, ne l'avait
pas rendue aussi misericordieuse envers Palmer qu'envers Laurent, c'est
parce que Palmer lui avait semble trop fort pour avoir besoin lui-meme de
son devouement. Palmer s'etait donc trompe en lui offrant un appui et une
consolation. Il avait manque a Therese de se croire necessaire a cet homme,
qui voulait qu'elle ne songat qu'a elle-meme.
Laurent, plus naif, avait ce charme particulier dont elle etait fatalement
eprise, la faiblesse! Il ne s'en cachait pas, il proclamait cette
touchante infirmite de son genie avec des transports de sincerite et des
attendrissements inepuisables. Helas! il se trompait aussi. Il n'etait pas
plus reellement faible que Palmer n'etait reellement fort. Il avait ses
heures, il parlait toujours comme un enfant du ciel, et, des que sa
faiblesse avait vaincu, il reprenait sa force pour faire souffrir, comme
font tous les enfants que l'on adore.
Laurent etait voue a une fatalite inexorable. Il le disait lui-meme dans
ses moments de lucidite. Il semblait que, ne du commerce de deux anges, il
eut suce le lait d'une furie, et qu'il lui en fut reste dans le sang un
levain de rage et de desespoir. Il etait de ces natures plus repandues
qu'on ne pense dans l'espece humaine et dans les deux sexes, qui, avec
toutes les sublimites de l'idee et tous les elans du coeur, ne peuvent
arriver a l'apogee de leurs facultes sans tomber aussitot dans une sorte
d'epilepsie inte
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