en poste, et, sans s'arreter nulle part, ils
rentrerent en France par Turin et le mont Cenis.
Ce voyage fut d'une tristesse extraordinaire. Palmer voyait partout des
signes de malheur; il avouait des superstitions et des faiblesses d'esprit
qui n'etaient nullement dans son caractere. Lui, si calme et si facile a
servir, il s'abandonnait a des coleres inouies contre les postillons,
contre les routes, contre les douaniers, contre les passants. Therese ne
l'avait jamais vu ainsi. Elle ne put se defendre de le lui dire. Il lui
repondit un mot insignifiant, mais avec une expression de visage si sombre
et un accent de depit si marque, qu'elle eut peur de lui, de l'avenir par
consequent.
Il y a une destinee implacable pour certaines existences. Pendant que
Therese et Palmer rentraient en France par le mont Cenis, Laurent y
rentrait par Geneve. Il arriva a Paris quelques heures avant eux,
preoccupe d'un vif souci. Il avait enfin decouvert que, pour le faire
voyager pendant quelques mois, Therese s'etait depouillee en Italie de
tout ce qu'elle possedait alors, et il avait appris (car tout se decouvre
tot ou tard), d'une personne qui avait passe a la Spezzia a cette epoque,
que mademoiselle Jacques vivait a Porto-Venere dans un etat de gene
extraordinaire, et faisait de la dentelle pour payer un logement de six
livres par mois.
Humilie et repentant, irrite et desole, il voulait savoir a quoi s'en
tenir sur la situation presente de Therese. Il la savait trop fiere pour
vouloir rien accepter de Palmer, et il se disait avec vraisemblance que,
si elle n'avait pas ete payee de ses travaux a Genes, elle avait du faire
vendre ses meubles a Paris.
Il courut aux Champs-Elysees, fremissant de trouver des inconnus installes
dans cette chere petite maison dont il n'approchait qu'avec un violent
battement de coeur. Comme il n'y avait pas de portier, il dut sonner a la
grille du jardin, sans savoir quelle figure allait venir lui repondre. Il
ignorait le prochain mariage de Therese, il ignorait meme qu'elle fut
libre de se marier. Une derniere lettre qu'elle lui avait ecrite a ce
sujet etait arrivee a Baden le lendemain de son depart.
Sa joie fut extreme de voir la porte ouverte par la vieille Catherine. Il
lui sauta au cou; mais tout aussitot il devint triste en voyant la figure
consternee de cette bonne femme.
--Et que venez-vous faire ici? lui dit-elle avec humeur. Vous savez donc
que mademoiselle arrive aujourd'hui? Ne pouvez-v
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