d'elle seule. C'etait peut-etre rendre a Laurent des
esperances qu'elle n'avait jamais voulu lui laisser; mais il est des
situations ou, quoi qu'on fasse, on commet des maladresses, et ou l'on
court fatalement a sa perte.
Les lettres de Laurent furent d'une douceur et d'une tendresse infinies.
Laurent ecrivait sans art, sans pretention, et souvent sans gout et sans
correction. Il etait tantot emphatique de bonne foi et tantot trivial sans
pruderie. Avec tous leurs defauts, ses lettres etaient dictees par une
conviction qui les rendait irresistiblement persuasives, et on y
sentait a chaque mot le feu de la jeunesse et la seve bouillante d'un
artiste de genie.
En outre, Laurent se remit a travailler avec ardeur, avec la resolution de
ne jamais retomber dans le desordre. Son coeur saignait des privations que
Therese avait souffertes pour lui donner le mouvement, le bon air et la
sante du voyage en Suisse. Il etait resolu a s'acquitter au plus vite.
Therese sentit bientot que l'affection de son _pauvre enfant_, comme il
s'intitulait toujours, lui etait douce, et que, si elle pouvait continuer
ainsi, elle serait le plus pur et le meilleur sentiment de sa vie.
Elle l'encouragea par des reponses toutes maternelles a perseverer dans la
voie de travail ou il se disait rentre pour toujours. Ces lettres furent
douces, resignees et d'une tendresse chaste; mais Laurent y vit percer une
tristesse mortelle. Therese avouait etre un peu malade, et il lui venait
des idees de mort dont elle riait avec une melancolie navrante. Elle etait
reellement malade. Sans amour et sans travail, l'ennui la devorait. Elle
avait emporte une petite somme qui etait le reste de ce qu'elle avait
gagne a Genes, et elle l'economisait strictement pour rester a la campagne
le plus longtemps possible. Elle avait pris Paris en horreur. Et puis
peut-etre avait-elle senti peu a peu quelque desir et en meme temps
quelque frayeur de revoir Laurent change, soumis et amende de toutes
facons, comme il se montrait dans ses lettres.
Elle esperait qu'il se marierait; puisqu'il en avait eu une fois la
velleite, cette bonne pensee pouvait revenir. Elle l'y encourageait. Il
disait tantot oui et tantot non. Therese attendait toujours qu'aucune
trace de l'ancien amour ne reparut dans les lettres de Laurent: il
revenait bien toujours un peu, mais c'etait avec une delicatesse exquise
desormais, et ce qui dominait ces retours a un sentiment mal etouffe,
c'etait une tendre
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