e et dans ses nerfs. Il y eut un
moment ou il oublia insensiblement la realite et se persuada que ces
meubles couverts de toile grise etaient des tombes dans un cimetiere. Il
avait toujours eu horreur de la mort, et, malgre lui, il y pensait sans
cesse. Il la voyait autour de lui sous toutes les formes. Il se crut
entoure de linceuls, et se leva avec effroi en s'ecriant:
--Qui est donc mort? Est-ce Therese? est-ce Palmer? Je le vois, je le sens,
quelqu'un est mort dans la region ou je viens de rentrer!... Non, c'est
toi, repondit-il en se parlant a lui-meme, c'est toi qui as vecu dans
cette maison les seuls jours de ta vie, et qui y rentres inerte, abandonne,
oublie comme un cadavre!
Catherine revint sans qu'il y fit attention, enleva les toiles, epousseta
les meubles, ouvrit toutes grandes les croisees, qui etaient fermees,
ainsi que les persiennes, et mit des fleurs dans les grands vases de Chine
poses sur les consoles dorees. Puis elle s'approcha de lui et lui dit:
--Eh bien, voyons, que faites-vous ici?
Laurent sortit de son reve, et, regardant autour de lui avec egarement, il
vit les fleurs repetees dans les glaces, les meubles de Boule brillant au
soleil, et tout cet air de fete qui avait succede, comme par magie, a
l'aspect funebre de l'absence, qui ressemble tant en effet a la mort.
Son hallucination prit un autre cours.
--Ce que je fais ici? dit-il en souriant d'un air sombre; oui, qu'est-ce
que je fais ici? C'est fete aujourd'hui chez Therese, c'est un jour
d'ivresse et d'oubli. C'est un rendez-vous d'amour que la maitresse du
logis a donne, et certes ce n'est pas moi qu'elle attend, moi, un mort!
Qu'est-ce qu'un cadavre a a voir dans cette chambre de noces? Aussi que
va-t-elle dire en me voyant la? Elle dira comme toi, pauvre vieille, elle
me dira: "Va-t'en! ta place est dans un cercueil!"
Laurent parlait comme dans la fievre. Catherine eut pitie de lui.
--Il est fou, pensa-t-elle, il l'a toujours ete.
Et, comme elle songeait a ce qu'elle lui dirait pour le renvoyer avec
douceur, elle entendit qu'une voiture s'arretait dans la rue. Dans sa joie
de revoir Therese, elle oublia Laurent et courut ouvrir.
Palmer etait a la porte avec Therese; mais, presse de se debarrasser de la
poussiere du voyage et ne voulant pas laisser a Therese l'ennui de faire
decharger la chaise de poste chez elle, il y remonta aussitot, et donna
l'ordre qu'on le conduisit a l'hotel Meurice, en disant a Therese qu'il
lu
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