r accoutume. Therese eut voulu
qu'il refusat, et d'un regard elle eut pu le lui faire comprendre; mais
Palmer ne la perdait pas de vue, et il paraissait en train d'interpreter
toutes choses d'une maniere funeste.
Laurent etait tres-sincere. Quand il mentait, il etait sa premiere dupe.
Il se crut assez fort pour braver cette situation delicate, et il eut
l'intention droite et genereuse de rendre a Palmer sa confiance
d'autrefois. Malheureusement, lorsque l'esprit humain, emporte par de
grandes aspirations, a gravi de certains sommets, s'il est pris de vertige,
il ne descend plus, il se precipite. C'est ce qui arrivait a Palmer.
Homme de coeur et de loyaute entre tous, il avait eu l'ambition de vouloir
dominer les emotions interieures d'une situation trop delicate. Ses forces
le trahissaient; qui pourrait l'en blamer? Et il s'elancait dans l'abime,
entrainant Therese et Laurent lui-meme avec lui. Qui ne les plaindrait
tous trois? Tous trois avaient reve d'escalader le ciel et d'atteindre ces
regions sereines ou les passions n'ont plus rien de terrestre; mais cela
n'est pas donne a l'homme: c'est deja beaucoup pour lui de se croire un
instant capable d'aimer sans trouble et sans mefiance.
Le diner fut d'une tristesse mortelle; bien que Palmer, qui s'etait empare
du role d'amphitryon, prit a coeur de faire servir a ses convives les mets
et les vins les plus recherches, tout leur parut amer, et Laurent, apres
de vains efforts pour se trouver dans la situation d'esprit qu'il avait
savouree doucement a Florence au lendemain de sa maladie entre ces deux
personnes, refusa de les suivre au bois de Boulogne. Palmer, qui, pour
s'etourdir, avait bu un peu plus que de coutume, insista d'une maniere
impatientante pour Therese.
--Voyons, dit-elle, ne vous obstinez pas ainsi. Laurent a raison de
refuser; au bois de Boulogne, dans votre caleche decouverte, nous serons
en vue, et nous pouvons rencontrer des gens qui nous connaissent. Ils ne
sont pas obliges de savoir dans quelle position exceptionnelle nous nous
trouvons tous les trois, et pourraient bien penser, sur le compte de
chacun de nous, des choses assez facheuses.
--Eh bien, rentrons chez vous, dit Palmer; j'irai ensuite me promener
seul, j'ai besoin de prendre l'air.
Laurent s'esquiva en voyant que c'etait comme un parti pris chez Palmer de
le laisser seul avec Therese, apparemment pour les surveiller ou les
surprendre. Il rentra chez lui fort triste, en se disant que T
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