tu me faisais? Puisses-tu oublier les souffrances que
je t'ai causees et ne te rappeler que les bons jours, le dernier surtout,
qui me laissera un baume dans le coeur et en soulagera la blessure! Adieu,
mon petit oiseau. Aime toujours ton pauvre vieux George."
Cependant, avant de clore sa lettre, elle cede a la tentation de lui
parler de l'_autre_. Etait-ce un sujet qui devait agreer au voyageur et
le reconforter? Peu importe! Il faut qu'elle entretienne l'absent de celui
qui occupe ses regards et sa pensee:
"Je ne te dis rien de la part de Pagello, sinon qu'il te pleure presque
autant que moi." Or, si nous comprenons les larmes de Musset, voire meme
de George Sand, celles de Pagello sont moins explicables. N'est-il pas,
pour le moment, le plus heureux des trois?
De Geneve, Alfred de Musset repond, le 4 avril. Il envoie sa lettre a M.
Pagello, docteur-medecin, pharmacie Ancillo, pour remettre a madame Sand.
"Mon George cheri, ecrit-il, je t'ai laissee bien lasse, bien epuisee de
ces deux mois de chagrins; tu me l'as dit d'ailleurs, tu as bien des
choses a me dire. Dis-moi surtout que tu es tranquille, que tu seras
heureuse; tu sais que j'ai tres bien supporte la route; Antonio doit
t'avoir ecrit. Je suis fort bien portant, presque heureux. Te dirai-je que
je n'ai pas souffert, que je n'ai pas pleure bien des fois dans ces
tristes nuits d'auberges? Ce serait me vanter d'etre une brute, et tu ne
me croirais pas.
"Je t'aime encore d'amour, George; dans quatre jours il y aura trois cents
lieues entre nous, pourquoi ne parlerais-je pas franchement? A cette
distance-la, il n'y a plus ni violences ni attaques de nerfs. Je t'aime,
je te sais aupres d'un homme que tu aimes, et cependant je suis
tranquille. Les larmes coulent abondamment sur mes mains, tandis que je
t'ecris; mais ce sont les plus douces, les plus cheres larmes que j'aie
versees. Je suis tranquille; ce n'est pas un enfant epuise de fatigue qui
te parle ainsi. J'atteste le soleil que j'y vois aussi clair dans mon
coeur que lui dans son orbite. Je n'ai pas voulu t'ecrire avant d'etre sur
de moi; il s'est passe tant de choses dans cette pauvre tete! De quel reve
etrange je m'eveille!
"Ce matin, je courais les rues de Geneve en regardant les boutiques; un
gilet neuf, une belle edition d'un livre anglais, voila ce qui attirait
mon attention. Je me suis apercu dans une glace, j'ai reconnu l'enfant
d'autrefois. Qu'avais-tu donc fait, ma pauvre amie? C'etait la l
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