encore envoye l'argent qu'il faudrait pour le voyage d'Antonio. Je ne veux
pas que tu partes seul. Pourquoi se quereller, mon Dieu? Ne suis je pas
toujours le frere George, l'ami d'autrefois?"
Alfred de Musset s'obstina a partir. Il avait annonce a sa mere son
arrivee en ces termes: "Je vous apporterai un corps malade, une ame
abattue, un coeur en sang, mais qui vous aime encore." Cependant George
Sand et Pagello, desireux de lui offrir un petit souvenir, s'etaient
cotises et lui avaient achete un portefeuille qu'ils ornerent de deux
dedicaces. Sur la premiere page il y avait: "A son bon camarade, frere et
ami, sa maitresse, George. Venise, 28 mars 1834. "Quel etrange amalgame de
mots! Et sur la page 72 et derniere etait ecrit: "_Pietro Pagello
raccomanda M. Alfred de Musset a Pietro Pinzio, a Vicenzo Stefanelli, a
Aggiunta, ingegneri_." Le poete, ainsi leste de recommandations, avait son
conge et sa lettre de voyage. Il s'eloigna avec Antonio, accompagne
jusqu'a Mestre par George Sand qui pretend qu'au retour elle voyait tous
les objets, particulierement les ponts, a l'envers. Encore qu'elle ne
l'avoue pas, elle ressentait comme une impression de soulagement, de
delivrance. Loin de ses enfants, separee d'Alfred de Musset, elle va
pouvoir travailler et aimer. Aupres de ce Pagello qui lui donne la
quietude au sortir des grands orages de la passion romantique, elle ecrira
abondamment pour la _Revue des Deux Mondes_, et composera, en recueillant
et distillant ses emotions, ce chef-d'oeuvre de description et d'analyse,
les _Lettres d'un Voyageur_.
CHAPITRE XI
LES ROMANS DE VENISE
Apres le depart d'Alfred de Musset, la vie de George Sand semble se
dedoubler. Par intervalles, son imagination suit le poete sur la route de
France, et le reste du temps elle est a Pagello ou a sa tache opiniatre,
infatigable, pour alimenter de romans la _Revue_ de Buloz. "J'en suis
arrivee, ecrit-elle a son frere Hippolyte, a travailler, sans etre malade,
treize heures de suite, mais, en moyenne, sept ou huit heures par jour,
bonne ou mauvaise soit la besogne. Le travail me rapporte beaucoup
d'argent et me prend beaucoup de temps, que j'emploierais, si je n'avais
rien a faire, a avoir le spleen, auquel me porte mon temperament bilieux."
N'eprouvait-elle, dans ses moments de loisir et de meditation, aucun
scrupule d'avoir confie, a peine convalescent, aux soins d'un garcon
perruquier, le poete avec qui elle avait entrepris ce voyage
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