lfred de Musset devaient partir ensemble de Venise. Sept
jours plus tard, le poete reprit seul la route de France. Il etait survenu,
dans l'intervalle, un incident que la _Confession d'un enfant du siecle_
nous aide a comprendre. George Sand avait spontanement confesse son
inclination croissante, son amour pour Pagello. Musset voulut etre
heroique. Non seulement il refusa d'entraver cette tendresse, mais il y
donna son consentement et comme sa benediction. Dans une nuit d'extase, il
unit leurs mains en s'ecriant: "Vous vous aimez, et vous m'aimez pourtant;
vous m'avez sauve, ame et corps." Et ils s'aimerent, effectivement, plus
qu'a la maniere mystique, en Alfred de Musset, leur enfant d'adoption.
Pagello celebre avec elle _il nostro amore per Alfredo_. Il y eut la une
triple deviation du sens moral.
Ces emotions, toutefois, et la surexcitation qui en resultait etaient
funestes a la convalescence d'Alfred de Musset. Il fallait qu'il
s'eloignat. Son immolation n'avait pas supprime son amour. Le 29 mars, il
fit viser son passeport. George Sand avait vainement essaye de le retenir;
car il courait la ville, echappant a la surveillance de son gondolier pour
entrer dans les tavernes. Il avait quitte le domicile commun, sans doute
afin de se soustraire au spectacle du bonheur de Pagello, et il ecrivait a
George Sand, au moment du depart: "Adieu, mon enfant, je pense que tu
resteras ici et que tu m'enverras l'argent par Antonio[9]. Quelle que soit
ta haine ou ton indifference pour moi, si le baiser d'adieu que je t'ai
donne aujourd'hui est le dernier de ma vie, il faut que tu saches qu'au
premier pas que j'ai fait dehors avec la pensee que je t'avais perdue pour
toujours, j'ai senti que j'avais merite de te perdre, et que rien n'est
trop dur. Mais s'il t'importe peu de savoir si ton souvenir me reste ou
non, il m'importe a moi aujourd'hui que ton spectre s'efface deja et
s'eloigne devant moi, de te dire que rien d'impur ne restera dans le
sillon de ma vie ou tu as passe, et que celui qui n'a pas su t'honorer
quand il te possedait peut encore y voir clair a travers ses larmes, et
t'honorer dans son coeur, ou ton image ne mourra jamais. Adieu, mon
enfant."
[Note 9: Un jeune perruquier qui accompagna Musset a Paris.]
Sur le verso de cette lettre apportee par un gondolier, George Sand
ecrivit au crayon la reponse suivante:
"_Al signor A. de Musset_.
"Non, ne pars pas comme ca! Tu n'es pas assez gueri, et Buloz ne m'a pas
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