entendre sur notre redaction avec Viardot,
et ecrire quelques lettres d'administration interieure, nous n'apprenons
le mauvais vouloir et les petites menees du _National_ que pour rire
un peu du _toupet_ avec lequel, partant de trois abonnes, et assures
seulement de trois redacteurs (qui sont nous trois), exposes aux injures
et a la fureur de tous les journaux, nous nous mettons en pleine
mer sans nous soucier du lendemain. Nous nous sentons si forts de
conviction, que, quand meme personne ne nous ecouterait, comme il ne
s'agit ici ni d'argent ni de gloire, nous serions surs d'avoir fait
notre devoir, obei a une volonte interieure qui nous enflamme, et laisse
quelques verites ecrites qui mettront, un jour, quelques hommes sur la
voie d'autres verites.
En arrangeant tout au plus mal, voila ce qui peut nous arriver de pis,
et c'est encore assez beau pour donner du courage. Aussi j'en ai plus
que je ne m'en suis senti a aucune epoque de ma vie, et j'eprouve
un calme que n'altereront pas, je te le promets, les _declamations
fougueuses_ que je viens de t'ecrire contre ton _National_. Pourquoi me
contiendrais-je avec toi quand il me prend fantaisie de jurer un peu?
Cela soulage et ne prouve que l'ardeur avec laquelle je voudrais mettre
la main sur ton coeur pour le disputer au diable. Quand, par hasard,
dans la rue ou dans le salon de madame Marliani, ou je mets le nez une
fois par semaine, j'entends quelque heresie contre ma foi, ou quelque
cancan contre nos personnes, je n'en perds pas un point de mon ourlet,
car j'ourle des mouchoirs a ces moments-la, et on ne me prendra pas par
mes paroles avec les indifferents: a ceux-la, on parle par la voie de la
presse; s'ils n'ecoutent pas, qu'importe? Mais, puisque j'ai une nuit
de disponible et que je ne la retrouverai peut-etre pas d'ici a deux ou
trois mois, j'en ai profite pour babiller avec foi, pour le dire que tu
n'as pas le sens commun, quand tu dis: "Je suis un homme d'action; a
quoi bon perdre le temps en reflexions?" C'est une grosse erreur, que de
croire qu'il y a des hommes purement d'action, et des hommes purement
de reflexion. Quel homme eut plus d'action que Napoleon? s'il n'eut pas
fait de bonnes et profondes reflexions a la veille de chaque bataille,
il n'en eut pas tant gagne. Il est vrai qu'il reflechissait plus vite
que nous; mais il n'en reflechissait que davantage. Qu'est-ce qu'une
action sans reflexion, sans meditation anterieure? Il y a un proverbe
qui dit
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