le coeur et la main. Mais l'aide d'un coeur ami, c'est autre chose.
J'espere que vous le comprendrez comme moi.
Adieu, mon cher Poncy. Du courage! croyez qu'il m'en faut beaucoup pour
vous sermonner comme je fais.
A vous, de coeur.
J'ai encore un mot a vous dire. Ne montrez jamais mes lettres qu'a votre
mere, a votre femme, ou a votre meilleur ami. C'est une sauvagerie et
une manie que j'ai au plus haut degre. L'idee que je n'ecris pas pour la
personne seule a qui j'ecris, ou pour ceux qui l'aiment completement, me
glacerait sur-le-champ le coeur et la main. Chacun a son defaut. Le mien
est une misanthropie d'habitudes exterieures, quoique, au fond, je n'aie
guere d'autre passion maintenant que l'amour de mes semblables; mais ma
personnalite n'a que faire dans les faibles services que mon coeur et ma
foi peuvent rendre en ce monde.
Quelques-uns m'ont fait beaucoup de peine sans le savoir, en parlant et
en ecrivant sur ma personne, mes _faits_ et _gestes_, meme en bien et
avec bonne intention. Respectez la maladie d'esprit de celle que vous
appelez votre mere.
CCXVIII
A MADEMOISELLE LEROYER DE CHANTEPIE,
A ANGERS
Nohant, 23 aout 1841
Mademoiselle,
J'ai recu a Paris, ou je viens de passer quelques jours, la lettre que
vous m'avez fait l'honneur de m'ecrire il y a deux mois. Je repondrais
mal a la confiance dont vous m'honorez si je n'essayais pas de vous dire
mon opinion sur votre situation presente. Cependant, je suis un bien
mauvais juge en pareille matiere, et je n'ai point du tout le sens de la
vie pratique. Je vous prie donc de regarder le jugement tres bref que
je vais vous soumettre comme une synthese d'ou je ne puis redescendre a
l'analyse, parce que les details de l'existence ne se presentent a moi
que comme des romans plus ou moins malheureux et dont la conclusion ne
se rapporte qu'a une maxime generale: changer la societe de fond en
comble.
Je trouve la societe livree au plus affreux desordre, et, entre toutes
les iniquites que je lui vois consacrer, je regarde, en premiere ligne,
les rapports de l'homme avec la femme etablis d'une maniere injuste et
absurde. Je ne puis donc conseiller a personne un mariage sanctionne par
une loi civile qui consacre la dependance, l'inferiorite et la nullite
sociale de la femme. J'ai passe dix ans a reflechir la-dessus, et, apres
m'etre demande pourquoi tous les amours de ce monde, legitimes ou non
legitimes par la
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