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On croit peut-etre que nous n'avons pas notre couleur, nous autres? On
se tromperait fort. Le Berrichon, simple dans ses manieres, calme dans
son langage, mais d'humeur independante et narquoise, apporterait, dans
la circulation des idees, cet admirable bon sens qui caracterise le
coeur de la France. Remarquez qu'un journal de localite en serait
infailliblement l'expression vive et franche, quels qu'en fussent les
redacteurs; il y a dans le contact des habitants quelque chose qui se
reflete dans le plus simple expose des faits, des besoins et des voeux
d'une province. L'existence d'un journal donne du mouvement a l'esprit,
on se rapproche, on parle, on pense tout haut; et naturellement chaque
numero resume les impressions generales. C'est ainsi que tout le monde
produit le journal; oui, le veritable redacteur, c'est tout le monde.
Il doit donc y avoir une sorte d'amour-propre public, bon a encourager,
dans la creation d'un journal de localite, manifestation interessante et
significative de l'esprit du pays.
Comptez sur mon zele a vous seconder et ne craignez pas de mettre mon
nom en avant, si vous croyez qu'il vous soit une garantie aupres de
quelques personnes sympathiques. Je ne vous ferai pas defaut, de meme
que je m'effacerais entierement de la redaction, si vous jugiez mon
concours inopportun.
Tout a vous de coeur.
GEORGE SAND.
CCXXXV
M. F. GUILLON, A PARIS
Paris, 14 fevrier 1844.
M'en voulez-vous, mon cher monsieur Guillon, de vous avoir montre la
criniere d'un vieux lion? c'est qu'il faut bien que je vous le dise,
George Sand n'est qu'un pale reflet de Pierre Leroux, un disciple
fanatique du meme ideal, mais un disciple muet et ravi devant sa parole,
toujours pret a jeter au feu toutes ses oeuvres, pour ecrire, parler,
penser, prier et agir sous son inspiration. Je ne suis que le
vulgarisateur a la plume diligente et au coeur impressionnable, qui
cherche a traduire dans des romans la philosophie du maitre. Otez-vous
donc de l'esprit que je suis un grand talent. Je ne suis rien du tout,
qu'un croyant docile et penetre.
D'aucuns, comme on dit en Berry, pretendent que c'est l'amour qui fait
ces miracles. L'amour de l'ame, je le veux bien, car, de la criniere du
philosophe, je n'ai jamais songe a toucher un cheveu et n'ai jamais eu
plus de rapports avec elle qu'avec la barbe du Grand Turc.
Je vous dis cela pour que vous sentiez bien que c'est un acte de f
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