e la portee, l'enseignement serieux et les
beautes infinies. Il y a vingt ans que, dans ma pensee, et meme de
l'oeil, en le relisant sans cesse, j'expurge Rabelais, toujours tentee
de lui dire: "O divin maitre, vous etes un atroce cochon!" Maurice
faisait le meme travail, dans sa pensee. Tres fort sur ce vieux langage
dont notre idiome berrichon nous donne la clef plus qu'a tous les
savants commentateurs, il le goutait serieusement et il avait fait (et
vous l'avez vue, je crois) une serie d'illustrations, dessinees des
son enfance d'une maniere barbare, mais pleines de feu, d'originalite,
d'invention, et, du reste, parfaitement chastes, comme le sentiment qui
lui faisait adorer le cote grave, artiste et profond de Rabelais. Le
temps seul me manquait pour realiser mon desir. Borie s'est trouve libre
de son temps pour quelques mois, et je lui ai persuade de faire ce
travail. Il s'en tire a merveille; je revois apres lui, et l'expurgation
est faite avec un soin extreme pour oter tout ce qui est _laid_ et
garder tout ce qui est beau. Maurice, qui dessine assez bien maintenant,
reprend en sous-oeuvre ses compositions, en invente de nouvelles, et
fait sur bois une cinquantaine de dessins qui seront graves et joints au
texte. Ce sera un ouvrage de luxe, et, comme ces publications sont fort
couteuses, nous n'en, retirerons peut-etre pas grand profit. Mais cela
servira a poser l'artiste et l'expurgateur. De plus, nous aurons, je
crois, rendu un grand service a la verite et a l'art, en faisant
passer, dans les mains des femmes honnetes et des jeunes gens purs, un
chef-d'oeuvre qui, jusqu'a ce jour, leur a ete interdit avec raison.
J'attacherai mon nom _en tiers_ a cette publication pour aider au
succes de mes jeunes gens, et je ferai preceder l'ouvrage d'un travail
preliminaire. Gardez-nous le secret, car c'en est un encore, jusqu'au
jour des annonces, vu qu'on peut etre devance dans ces sortes de choses
par des faiseurs habiles qui gachent tout[1]. Voila donc l'hiver
de Maurice et de Borie bien occupe aupres de moi. Quant a ma chere
Augustine, elle a donne dans le coeur d'un brave garcon qui est tout a
fait digne d'elle et qui a de quoi vivre. Cela, joint a un peu d'aide
de ma part, lui fera une existence independante, et, quant aux qualites
essentielles de l'intelligence et du caractere, elle ne pouvait mieux
rencontrer. Elle ne pourra se marier que dans trois mois. Alors, elle
ira habiter le Limousin avec son mari et viendra pas
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