ille a plusieurs jeunes poetes et qui les a
tous effrayes, parce qu'ils n'avaient pas l'inspiration et la sympathie
qu'il faut pour cela.
"Un poete proletaire devrait l'avoir. Poncy aurait la grandeur et
l'enthousiasme. Mais, pour plier son talent un peu recherche et
_brillante_ a l'austere simplicite indispensable a ce genre de poesies,
il lui faudrait travailler beaucoup, renoncer a beaucoup d'effets
chatoyants, et a beaucoup d'expressions coquettes qu'il affectionne.
Serait-il capable d'une si grande reforme? Sans cette reforme pourtant,
l'ouvrage dont je parle n'aurait aucune valeur, aucun charme pour
le petit peuple, et, le dirai-je? aucune nouveaute aux yeux des
connaisseurs; car il s'agirait de faire quelque chose que personne n'a
jamais fait encore. Il l'a fait a sa maniere (et c'etait une maniere
admirable), pour se peindre lui-meme dans son etat de macon; mais il
faudrait etre encore plus simple, tout a fait simple.
"Le simple est ce qu'il y a de plus difficile au monde: c'est le dernier
terme de l'experience et le dernier effort du genie. N'est-il pas encore
trop jeune pour donner ces touches fermes et nettes, qui paraissent si
faciles, que chacun se dit: "J'en aurais fait autant," et que personne
cependant ne peut le faire qu'un grand artiste? Le Postillon, le
Forgeron, la Lavandiere, le Macon, le Colporteur, le Ciseleur, le
Couvreur, la Chanteuse des rues, la Brodeuse, la Fleuriste, le
Jardinier, le Fossoyeur, le Menetrier du village, le Charpentier,
etc., etc., etc., quelle foule inepuisable de types varies et qui tous
pourraient etre embellis ou plaints par le poete!
"Il faudrait faire aimer toutes ces figures, meme celles dont le premier
aspect repousse, et inspirer une pitie tendre pour ceux qu'on ne
pourrait admirer comme des etres utiles et courageux. Moi, je resumerais
le tout dans une derniere chanson intitulee: _la Chanson de la misere_,
et qui commencerait tout, bonnement ainsi:
Je suis dame misere...
"Il faudrait, pour la plupart de ces chansons, renoncer a l'alexandrin
et choisir un rythme court et facile a l'oreille."
Voila, mon cher enfant, les idees que j'avais jetees sur le papier, il
y a quelque temps, etant malade et fatiguee. Je le suis encore plus
aujourd'hui et ne puis completer ni eclaircir mon explication. Vous y
suppleerez par votre vive intelligence; ou bien mon projet vous paraitra
pueril, et, dans ce cas, n'y donnez aucune attention; car il se peut
qu'il n'entre en ri
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