beaucoup de travaux, de fatigues et d'une vie entiere de devouement et
d'abnegation. Je ne demandais qu'a rendre heureux les objets de mon
affection. Eh bien! j'ai ete payee d'ingratitude, et le mal l'a emporte
dans une ame dont j'aurais voulu faire le sanctuaire et le foyer du beau
et du bien. A present, je lutte contre moi-meme pour ne pas me laisser
mourir. Je veux accomplir ma tache jusqu'au bout. Que Dieu m'assiste! je
crois en lui et j'espere!
Nous avons ici un temps affreux, de la pluie par torrents, un ciel
sombre et froid depuis huit jours. On ne peut finir les moissons. Cela
ne contribue pas peu a me rendre triste. Augustine a beaucoup souffert,
mais elle a eu un grand courage, un vrai sentiment de sa dignite; et sa
sante, Dieu merci, n'a pas ete atteinte. Mon bon Maurice est toujours
calme, occupe, enjoue. Il me soutient et me console. Solange est a Paris
avec son mari; ils vont voyager. Chopin est a Paris aussi; sa sante
ne lui a pas encore permis de faire le voyage; mais il va mieux. Nous
attendons tous les jours l'ouverture du chemin de fer qui nous permettra
d'aller de Chateauroux a Paris en quelques heures, et qui nous etait
promise pour le mois dernier.
Cette morsure dont vous me parlez m'inquiete, non pas que je croie aux
suites de l'accident. En general, j'y crois peu, et j'ai toujours
vu l'imagination faire tout le mal. Mais, justement, je crains les
agitations de votre esprit. Je suis sure que vous ne serez pas malade.
Votre sang est trop, pur, et je parie que le chien etait le plus
innocent du monde. Mais vous allez vous tourmenter: je vous connais. Je
vous supplie, mon enfant, de n'y pas penser du tout et meme d'en rire,
et de m'ecrire que vous n'y songez plus.
Bonsoir, cher fils; votre _mere_ vous benit dans la douleur comme dans
le repos. J'embrasse vos deux anges. Dites-moi donc ce que vous avez
debourse, je le veux.
Merci pour Borie de votre souvenir. Il est a Orleans, a la tete d'un
journal. Il viendra passer avec nous le mois de septembre.
CCLXIII
AU MEME
Nohant, 14 decembre 1847.
Je suis bien en retard avec vous, mon cher enfant, et je ne sais plus a
laquelle de vos lettres je commencerai par repondre. Vous me pardonnez
ce silence, je le sais, je le vois, puisque vous m'ecrivez toujours et
que votre tendre affection semble augmenter avec mon mutisme et mon
accablement. Vous avez compris. Desiree et vous, vous autres dont l'ame
est de
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