il est lourd, mieux
on marche peut-etre! Et les devoirs ne sont pas difficiles a trouver
dans ce temps de malheur et de souffrance materielle. Votre coeur le
sait bien. Mettez votre cerveau et vos jambes au service de votre coeur,
et l'imagination s'endormira.
CCLIX
A JOSEPH MAZZINI, A LONDRES
Nohant, 22 mai 1847
Frere et ami,
Je n'ai recu qu'il y a quinze jours le numero du _People's Journal_ qui
contient deux articles dont je suis l'objet. Remerciez pour moi de sa
bienveillance miss Jewsbury, signataire du premier, et laissez-moi vous
dire que le votre m'a penetree d'un sentiment de bonheur. C'est qu'en
effet il part de votre coeur.
D'autres hommes eminents ont bien voulu me louer ou me defendre. Leur
voix ne partait pas des entrailles comme la votre; car, en general, les
hommes d'intelligence ont peu d'entrailles, et je ne me sens point de
parente avec eux. Ma gratitude pour eux n'etait donc qu'une forme de
politesse obligee, au lieu que, vous, je ne vous remercie pas; je
sens que vous dites ce que vous pensez sur mon compte, parce que vous
comprenez les souffrances de mon ame, ses besoins, ses aspirations et
la sincerite de mon vouloir. Non, mon ami, je ne vous remercie pas d'un
article _favorable_, comme on dit; mais je vous remercie de m'aimer,
et de m'appeler votre soeur et votre amie. Il y a une fatalite
providentielle et comme un instinct de secrete divination dans les
coeurs.
Il y a dix ans, j'etais en Suisse; vous y etiez cache et un hasard
m'avait fait decouvrir votre retraite. J'etais presque partie un matin,
pour vous aller trouver. J'etais encore dans l'age des tempetes. Je
revins sur mes pas, en me disant que vous aviez assez de votre fardeau a
porter, et que vous n'aviez pas besoin d'une ame agitee comme la
mienne. Je comptais bien que, plus tard, nous nous rencontrerions si je
resistais a la tentation du suicide qui me poursuivait sur ces glaciers.
Le vertige de Manfred est si profondement humain! Enfin, il y a encore,
dans la vie, des recompenses attachees a l'accomplissement des devoirs,
des compensations aux plus durs sacrifices, puisque votre amitie
couronne ma vieillesse et me console du passe!
Venez donc en France, venez donc me voir chez moi dans ma vallee Noire,
si bete et si bonne. J'y suis plus moi-meme qu'a Paris, ou je suis
toujours malade au moral et au physique. Nous avons bien des choses a
nous dire; moi, j'en ai a vous demander. J
|