ris jusqu'a Chateauroux, qui n'est qu'a neuf lieues de chez moi. Ainsi
vous n'aurez plus besoin que je vous trace un petit itineraire pour
eviter les lenteurs et les contretemps de voyage, une des mille petites
plaies de notre pauvre France, qui en a de si grandes d'ailleurs. Vous
viendrez de Paris en six ou sept heures jusqu'a Chateauroux; et, de
Chateauroux a Nohant, par la grande route et la diligence, en trois
heures.
Que votre lettre est bonne et votre coeur tendre et vrai! je suis
certaine que vous me ferez un grand bien et que vous remonterez mon
courage, qui a subi, depuis quelque temps, bien des atteintes dans des
faits personnels. Et qu'est-ce que les faits personnels encore! je
devrais dire que, depuis ces dernieres annees surtout, j'ai grand'peine
a me maintenir, je ne dis pas croyante, la foi conquise au prix qu'elle
nous a coute ne se perd pas, mais sereine. Et la serenite est un devoir,
precisement, impose aux ames croyantes. C'est comme un temoignage
qu'elles doivent a leur religion. Mais nous ne pouvons nous faire pures
abstractions, et l'attente confiante d'une meilleure vie, l'amour de
l'ideal immortel ne detruit pas en nous le sentiment et la douleur de
la vie presente. Elle est affreuse, cette vie, a l'heure qu'il est. La
corruption et l'impudence sont d'un cote; de l'autre, c'est la folie
et la faiblesse. Toutes les ames sont malades, tous les cerveaux sont
troubles, et les mieux portants sont encore les plus malheureux; car ils
voient, ils comprennent et ils souffrent.
Cependant il faut traverser tout cela pour aller a Dieu, et il faut bien
que chaque homme subisse en detail ce que subit l'humanite en masse.
Venez me donner la main un instant, vous, eprouve par tous les genres de
martyre. Quand meme vous ne me diriez rien que je ne sache, il me semble
que je serais fortifiee et sanctifiee par cette antique formule qui
consacre l'amitie entre les hommes.
J'ai recu une de vos brochures, mais non la lettre a Carlo-Alberto, a
moins que vous ne l'ayez envoyee apres coup et qu'elle ne soit a Paris.
Les traductions me sont venues, aussi. Remerciez pour moi.
Le mot _traine_ est local et non francais usite. Une traine est un petit
chemin encaisse et ombrage. C'est comme qui dirait un sentier. Mais
notre dialecte du Berry, qui n'est qu'un vieux francais, distingue le
sentier du pieton et celui ou peut passer une charrette. Le premier
s'appelle _traque_ ou _traquette_, le second _traine_. Le mot est j
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