laborieux,
le plus simple et le plus droit qu'on puisse voir. Nos caracteres, outre
nos coeurs, s'accordent si bien, que nous ne pouvons guere vivre un jour
l'un sans l'autre. Le voila qui entre dans sa vingt-troisieme annee, et
moi dans ma quarante-deuxieme, et Solange dans sa dix-huitieme! Nous
avons des habitudes de gaiete peu bruyante, mais assez soutenue, qui
rapprochent nos ages, et, quand nous avons bien travaille toute la
semaine, nous nous donnons pour grande recreation d'aller manger une
galette sur l'herbe a quelque distance de chez nous, dans un bois ou
dans quelque ruine, avec mon frere, qui est un gros paysan, plein
d'esprit et de bonte, et qui dine tous les jours de la vie avec nous, vu
qu'il demeure a un quart de lieue. Voila donc nos grandes _fredaines_.
Maurice dessine le site, mon frere fait un somme sur l'herbe. Les
chevaux paissent en liberte. Les filleuls ou filleules sont aussi de la
partie et nous rejouissent de leurs naivetes. Les chiens gambadent, et
le gros cheval, qui traine toute la famille dans une espece de grande
brouette, vient manger dans nos assiettes. Malheureusement, nous avons
peu joui de la campagne de cette facon, cet ete. Il a toujours plu, et
les rivieres out effroyablement deborde. Mais l'automne s'annonce plus
beau, et j'espere que nous reprendrons bientot nos excursions. Puis nous
allons marier une filleule de Maurice et faire la noce a la maison.
Je crois que vous vous plairiez avec nous, mes enfants; car nous avons
eu le bonheur de conserver des gouts simples. Nous avons une petite
aisance qui nous permet de faire disparaitre la misere autour de nous;
et, si nous connaissons le chagrin de ne pouvoir empecher celle qui
desole le monde, chagrin profond, surtout a mon age, quand la vie n'a
plus de personnalite enivrante et qu'on voit clairement le spectacle de
la societe, de ses injustices et de son affreux desordre, du moins nous
ne connaissons pas l'ennui, l'inquietude ambitieuse et les passions
egoistes. Nous avons donc une sorte de bonheur relatif, et mes enfants
le goutent avec la simplicite de leur age.
Pour moi, je ne l'accepte qu'en tremblant; car tout bonheur est quasi un
vol dans cette humanite mal reglee, ou l'on ne peut jouir de l'aisance
et de la liberte qu'au detriment de son semblable, par la force des
choses, par la loi de l'inegalite: odieuse loi, odieuses combinaisons,
dont la pensee empoisonne mes plus douces joies de famille et me revolte
a chaque ins
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