rdinaire, et, sur les cinq cents ou six cents romans de femme que
j'ai feuilletes depuis dix ans, c'est un des trois ou quatre que j'ai
pu lire en entier. Au fait, ce n'est point un roman; vous-meme l'avez
qualifie d'etude. Il manque essentiellement des qualites qui font un
roman anime. Mais il a toutes celles d'une etude bien faite. C'est
une enigme qui se devoile peu a peu, et dont le mot n'est pas assez
proclame. Votre Ange cherche la grandeur et la vertu, et vous montrez,
avec beaucoup d'elevation, que, sans grandeur et sans ideal, il n'y a
pas d'amour possible pour une ame elevee. Seulement les tenebres qui
remplissent la vie douloureuse de cet Ange, vous ne les dissipez que
faiblement.
On voit bien que, dans ce pauvre et mesquin petit milieu du grand monde
ou vous avez enferme son existence, l'Ange a du mourir de froid et
d'ennui, sans avoir vu clair un seul jour. Mais vous, l'auteur, vous qui
jugez et racontez, vous deviez nous dire mieux ce qui lui a tant manque.
Vous nous l'eussiez dit en nous montrant dans Georges de Savenay un
veritable homme; mais nous l'avons a peine connu. Il est brave et
compatissant, il est bel esprit et homme de lettres. Mais quoi encore?
quels sont ces grandes idees, ces nobles sentiments, que vous nous dites
qu'il possede, et qu'il ne nous laisse pas apercevoir? On dirait que
vous avez craint d'effaroucher et d'epouvanter les salons ou la vie de
votre Ange s'est etiolee, en nous montrant la figure d'un homme de bien
tel que vous devez la concevoir et pouvez la peindre.
Je vous prie, madame, de me pardonner ces observations, et d'etre bien
certaine que je ne me les permettrais pas, si votre talent et votre
caractere ne me semblaient en valoir la peine; car c'est une peine,
madame, que de dire la verite qu'on pense, et c'est le plus grand acte
de courage que nos amis aient le droit de nous demander.
Agreez, madame, l'expression de mes sentiments distingues.
GEORGE SAND.
CCXXV
A MAURICE SAND, A GUILLERY
Nohant, 6 juin 1843.
Mon cher enfant,
Je suis heureuse que tu t'amuses et que tu prennes du bon temps. Quoique
tu me manques beaucoup, j'en ferais le sacrifice aussi longtemps que tu
le desirerais, mais tu sais que le travail et le maitre doivent passer
avant tout.
Je recois ce matin une lettre de Delacroix. Il sera ici dans quinze
jours, le 20 au plus tard. Ainsi tu n'as pas de temps a perdre pour
revenir; car tu auras besoin d
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