apres, ne laissant rien, et la
dette retomba sur le pretre, qui obtint un peu de temps, et qui, depuis
deux ou trois ans, paye les interets sans avoir pu arriver a solder plus
de deux cents francs sur le capital.
Maintenant, voici que les creanciers se montrent fort durs et fort
presses, qu'ils exigent ce capital sur l'heure, menacent de poursuites,
de frais et de saisie, et, pour avoir exerce la charite, un pretre
respectable et excellent peut etre d'un jour a l'autre expose a un
scandale, a une honte poignante.
Si j'avais eu quatre mille francs, j'aurais a l'instant meme fait cesser
l'inquietude et la douleur de ce bon cure. Mais son histoire est la
mienne, avec la difference que ce qui lui est arrive une fois m'est
arrive plus de vingt fois, et que, dans la proportion de mes ressources
aux siennes, je suis encore plus genee et empechee que lui. Ma position
de femme, c'est-a-dire de mineure aux yeux de la loi (mineure de
quarante ans, s'il vous plait, monseigneur!), ne me permet pas
d'emprunter, et je ne peux pas m'adresser a des amis. La plupart des
miens sont pauvres; le peu de riches veritablement humains que j'ai
rencontres sont tellement epuises d'aumones et de charites, que c'est
etre indiscret que de recourir a eux encore une fois. Et puis je
dois vous avouer que je suis liee en general avec des personnes de
l'_opposition_ la plus prononcee, et que, malheureusement, il y a de
l'intolerance au fond de toutes les opinions de ce temps-ci. Tel qui
se depouillera pour un detenu politique de sa couleur ne s'interessera
point a un cure et ne comprendra pas que je m'y interesse.
J'ai fait appel, sans les beaucoup connaitre, a quelques personnes
riches et pieuses, leur faisant entendre qu'il s'agissait d'un pretre,
et d'un pretre aussi orthodoxe qu'elles pouvaient le desirer. On m'a
repondu qu'on n'avait pas d'argent ou qu'on avait _ses pauvres._
J'ai conseille a mon desservant de s'adresser au prelat de son diocese;
mais d'autres le lui ont deconseille, parce que monseigneur, dit-on,
blamerait l'action du pretre charitable comme une legerete, comme une
imprudence, et que cet aveu pourrait lui faire du tort dans son esprit.
Est-ce possible? la prudence humaine peut-elle parler, la ou la pitie
evangelique commande? Je ne comprends rien a cela, mais enfin je ne puis
insister sur un avis ou l'on croit voir de graves inconvenients. Dans
cette perplexite, l'idee m'est venue de m'adresser tout droit a Votre
Grandeur,
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