societe, etaient tous plus ou moins malheureux, quelles
que fussent les qualites et les vertus des ames ainsi associees, je me
suis convaincue de l'impossibilite radicale de ce parfait bonheur,
ideal de l'amour, dans des conditions d'inegalite, d'inferiorite et de
dependance d'un sexe vis-a-vis de l'autre. Que ce soit la loi, que
ce soit la morale reconnue generalement, que ce soit l'opinion ou le
prejuge, la femme, en se donnant a l'homme, est necessairement ou
enchainee ou coupable.
Maintenant, vous me demandez si vous serez heureuse par l'amour et le
mariage. Vous ne le serez ni par l'un ni par l'autre, j'en suis bien
convaincue. Mais; si vous me demandez dans quelles conditions autres je
place le bonheur de la femme, je vous repondrai que, ne pouvant refaire
la societe, et sachant bien qu'elle durera plus que notre courte
apparition actuelle en ce monde, je la place dans un avenir auquel
je crois fermement et ou nous reviendrons a la vie humaine dans des
conditions meilleures, au sein d'une societe plus avancee, ou nos
intentions seront mieux comprises et notre dignite mieux etablie.
Je crois a la vie eternelle, a l'humanite eternelle, au progres eternel;
et, comme j'ai embrasse a cet egard les croyances de M. Pierre Leroux,
je vous renvoie a ses demonstrations philosophiques. J'ignore si elles
vous satisferont, mais je ne puis vous en donner de meilleures: quant a
moi, elles ont entierement resolu mes doutes et fonde ma foi religieuse.
Mais, me direz-vous encore, faut-il renoncer, comme les moines du
catholicisme, a toute jouissance, a toute action, a toute manifestation
de la vie presente, dans l'espoir d'une vie future? Je ne crois point
que ce soit la un devoir, sinon, pour les laches et les impuissants. Que
la femme, pour echapper a la souffrance et a l'humiliation, se preserve
de l'amour et de la maternite, c'est une conclusion romanesque que j'ai
essayee dans le roman de _Lelia_, non pas comme un exemple a suivre,
mais comme la peinture d'un martyre qui peut donner a penser aux juges
et aux bourreaux, aux hommes qui font la loi et a ceux qui l'appliquent.
Cela n'etait qu'un poeme, et, puisque vous avez pris la peine de le lire
(en trois volumes), vous n'y aurez pas vu, je l'espere, une doctrine. Je
n'ai jamais fait de doctrine, je ne me sens pas une intelligence assez
haute pour cela. J'en ai cherche une; je l'ai embrassee. Voila pour ma
synthese a moi; mais je n'ai pas le genie de l'application, et je n
|