que vous en ayez tire tout le parti suffisant. Ainsi la plupart de vos
_marines_ sont trop de _l'art pour l'art_, comme disent nos artistes
sans coeur. Je voudrais que cette impitoyable mer, que vous connaissez
et que vous montrez si bien, fut plus personnifiee, plus significative,
et que, par un de ces miracles de la poesie que je ne puis vous
indiquer, mais qu'il vous est donne de trouver, les emotions qu'elle
vous inspire, la terreur et l'admiration, fussent liees a des sentiments
toujours humains et profonds. Enfin il faut ne parler aux yeux de
l'imagination que pour penetrer dans l'ame plus avant que par le
raisonnement. Pourquoi cette eternelle colere des elements? cette lutte
entre le ciel et l'abime, le regne du soleil qui pacifie tout; pourquoi
la rage, la force, la beaute, le calme? Ne sont-ce pas la des symboles,
des images en rapport avec nos rages interieures, et le calme n'est-il
pas une des figures de la Divinite? Voyez Homere! comme il touche a la
nature! il est plus romantique que tous nos modernes; et pourtant cette
nature si bien sentie et si bien depeinte n'est qu'un inepuisable
arsenal ou il trouve des comparaisons pour animer et colorer les actes
de la vie divine et humaine. Tout le secret de la poesie, tous ses
prodiges sont la. Vous l'avez senti dans la _Barque echouee_, dans la
_Fumee qui monte des toits_, etc. Je voudrais que vous le sentissiez
dans toutes les pieces que vous faites; c'est par la qu'elles seraient
completes, profondes, et que l'impression en serait ineffacable. Hugo a
senti cela quelquefois; mais son ame n'est pas assez morale pour l'avoir
senti tout a fait et a propos. C'est parce que son coeur manque de
flamme que sa muse manque de gout. L'oiseau chante pour chanter, dit-on.
J'en doute.
Il chante ses amours et son bonheur, et c'est par la qu'il est en
rapport avec la nature. Mais l'homme a plus a faire, et le poete ne
chante que pour emouvoir et faire penser.
J'espere qu'en voila assez pour une aveugle. Je crains que mon ecriture
ne vous communique ma cecite.
Adieu, cher Poncy. Suppleez par votre intelligence a tout ce que je vous
dis si mal et si obscurement. Solange et Maurice vous lisent et vous
aiment. Maurice a presque votre age, je crois. Il a dix-neuf ans; c'est
un peintre. Il est doux, laborieux, calme comme la mer la plus calme.
Solange a quatorze ans; elle est grande, belle et fiere. C'est une
creature indomptable et une intelligence superieure, avec une paress
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