son orgueil, la jalousie de ses rivaux, les calomnies de ses ennemis,
les insultes de la critique: que nous importent toutes ces choses
dont ils nous entretiennent, avec leur comparaison des chenes et des
champignons veneneux pousses sur leur racine?--comparaison ingenieuse,
mais qui nous fait sourire parce que nous y voyons percer la vanite de
l'homme isole, et que les hommes ne s'interessent reellement a un homme
qu'autant que cet homme s'interesse a l'humanite. Ses souffrances ne
trouvent d'interet et de sympathie qu'autant qu'elles sont subies pour
l'humanite. Son martyre n'a de grandeur que lorsqu'il ressemble a
celui du Christ; vous le savez, vous le sentez, vous l'avez dit. Voila
pourquoi votre couronne d'epines vous a ete posee sur le front. C'est
afin que chacune de ces epines brulantes fit entrer dans votre front
puissant une des souffrances et le sentiment d'une des injustices que
subit l'humanite. Et l'humanite qui souffre, ce n'est pas nous, les
hommes de lettres; ce n'est pas moi, qui ne connais (malheureusement
pour moi peut-etre) ni la faim ni la misere; ce n'est pas meme vous, mon
cher poete, qui trouverez dans votre gloire et dans la reconnaissance
de vos freres, une haute recompense de vos maux personnels; c'est le
peuple, le peuple ignorant, le peuple abandonne, plein de fougueuses
passions qu'on excite dans un mauvais sens, ou qu'on refoule, sans
respect de cette force que Dieu ne lui a pourtant pas donnee pour rien.
C'est le peuple livre a tous les maux du corps et de l'ame, sans pretres
d'une vraie religion; sans compassion et sans respect de la part de ces
classes eclairees (jusqu'a ce jour), qui meriteraient de retomber dans
l'abrutissement, si Dieu n'etait pas tout pitie, tout patience et tout
pardon.
Me voila un peu loin de la concision que je me promettais en commencant
ma lettre, et je crains que vous n'ayez autant de peine a dechiffrer mon
ecriture que moi a la voir. N'importe, je ne veux pas laisser mon idee
trop incomplete. Je vous disais donc que vous aviez resolu la difficulte
toutes les fois que vous avez parle du travail. Maintenant il faut
marier partout la grande peinture exterieure a l'idee meme de votre
poesie. Il faut faire des _marines_: elles sont trop belles pour que
je veuille vous en empecher; mais il faut, sans sacrifier la peinture,
feconder par la comparaison ces belles pieces de poesie si fortes et si
colorees. Vous avez rencontre parfois l'idee; mais je ne trouve pas
|