, au dela de vos forces. Vous avez bien le temps, vous
etes tout jeune, et nous nous usons tous trop vite. N'ecrivez que quand
l'inspiration vous possede et vous presse.
CCXVII
AU MEME
Nohant, 24 aout 1849
Mon cher poete,
J'ai trouve vos deux lettres au retour d'un voyage que je viens de faire
a Paris, pour mes affaires, c'est-a-dire pour celles de notre _Revue_.
Je suis toujours malade, et mes yeux me refusent le service. Ne croyez
donc pas, si je ne vous reponds pas exactement, qu'il y ait de ma faute.
Mon travail meme est sans cesse interrompu et repris avec de penibles
efforts souvent infructueux.
Je crois qu'a certains egards, vous avez progresse. Vos idees
s'enchainent, se symbolisent et se completent mieux. Mais je veux vous
avertir avec la franchise et l'autorite maternelles que vous voulez
bien m'accorder: vous negligez la forme et l'expression, au lieu de les
corriger. Je ne vous ai pas fait de reproche pour votre volume imprime,
je n'ai fait d'attention serieuse qu'a l'inspiration extraordinaire et
a l'inneite, l'abondance de talent, qui s'y revelent a chaque page. Je
savais bien qu'a chaque page il y avait ou une incorrection de langage
ou une metaphore manquant de justesse, ou un trait dont le gout n'etait
pas pur. Si vous voulez faire une seconde publication ayant les memes
qualites et les memes defauts que la premiere, vous le pouvez. Je suis a
votre service pour m'en occuper avec autant de zele et de devouement
que s'il s'agissait de votre chef-d'oeuvre. Mais, si vous ecoutez
les conseils de mon amitie serieuse et severe, vous ne publierez vos
nouvelles poesies que lorsque vous y reconnaitrez vous-meme plus de
qualites et moins de defauts que dans les premieres.
Vous etes si jeune, qu'il ne vous est pas permis de ne pas faire chaque
annee un progres sensible. Or, je trouve, dans les pieces que vous
m'avez envoyees, plus de qualites, il est vrai, mais aussi plus de
defauts que dans votre volume. Je ne m'en etonne pas, et meme je
vous dirai que je m'y attendais. C'est une phase inevitable de la
transformation qui se fait dans l'esprit d'un poete comme d'un artiste.
J'etudie ces phases dans la peinture que fait mon fils, et je les ai
etudiees sur moi-meme dans ma jeunesse. Tant qu'on est dans l'heureux
age de progresser, on perd a chaque instant d'un cote ce qu'on gagne
de l'autre. De ce que cela est inevitable, il n'en faut pas moins
s'observer, s'effor
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