defendre, je
rougissais presque de lui. Et puis je suis rentree, prise tout a coup
d'un grand mal de tete, et me demandant si j'aurais jamais la force de
braver pour lui tant d'insultes. Je me suis figure que je ne voulais
plus l'aimer, et alors il m'a semble que j'allais mourir, que cette
maison, qui m'a toujours semble belle, parce que j'y ai ete elevee et
que je m'y trouvais heureuse, devenait noire, malpropre, triste et laide
comme elle vous le parait sans doute a vous-meme. Je me suis crue dans
une prison, et ce soir, quand ma pauvre soeur me disait dans sa folie
que notre pere etait un gendarme qui nous gardait a vue pour nous faire
souffrir, il y a eu instant ou j'etais comme folle aussi, et ou je me
figurais voir tout ce que voyait ma soeur. Oh! que cela m'a fait de mal!
Et quand j'ai repris ma raison, j'ai bien senti que sans mon pauvre
Louis il n'y avait pour moi rien d'agreable, rien de supportable dans ma
vie. C'est parce que je l'aime que j'ai accepte gaiement jusqu'a ce jour
toutes mes peines, l'humeur terrible de ma mere, l'insensibilite de mon
pere, le fardeau de notre richesse, qui ne fait que des malheureux et
des jaloux autour de nous, et le spectacle des maladies affreuses qui
frappent depuis si longtemps sous mes yeux ma soeur et mon grand-pere.
Tout cela m'a paru hideux quand je me suis vue seule, n'osant plus
aimer, et forcee de subir tout cela sans la consolation d'etre cherie
par un etre beau, noble, excellent, dont l'attachement me dedommageait
de tout. Oh! c'est impossible! je l'aime, je ne veux plus essayer de
m'en guerir. Mais j'en mourrai, voyez-vous, madame Marcelle; car ils
l'ont chasse, et, j'aurai beau souffrir, ils seront impitoyables. Je ne
pourrai plus le voir; si je lui parle en secret, ils me gronderont et me
persifleront jusqu'a ce que j'aie perdu la tete... Ma pauvre tete, que
je croyais si saine, si forte, et qui me fait tant de mal qu'il me
semble qu'elle se brise... Oh! je ne me laisserai pas devenir comme ma
soeur, n'ayez pas peur de moi, ma chere madame Marcelle! Je me tuerai
plutot si je sens que son mal me gagne. Mais cela ne se gagne pas,
n'est-il pas vrai?... Pourtant, quand je l'entends crier, cela me
dechire le coeur, cela fait passer du feu et de la glace dans mon sang.
Une soeur, une pauvre soeur! c'est le meme sang que nous, et son mal se
ressent dans notre corps comme dans notre ame! Oh ciel! Madame, oh!
mon Dieu, l'entendez-vous? Tenez! ils ont beau fermer les porte
|