un serrurier pour fermer son
pot de fer; il l'enterra tout au beau milieu d'une mechante cabane de
paille et de terre qui lui sert de maison et qu'il s'est batie lui-meme
au fond des bois. Depuis quarante ans personne ne l'a tourmente, parce
que son sort n'a fait envie a personne, et il a eu le plaisir d'etre
plus riche et plus fier que tous ceux qui le meprisaient.
--Et a quoi lui a servi son or? dit Henri.
--Il le regarde une fois par semaine, quand il retourne a sa cabane ou
il serre l'argent qu'il a recueilli de ses aumones. Il ne garde sur lui
que ce qu'il veut depenser en tabac et en brandevin. Il fait dire de
temps en temps une messe pour s'acquitter envers le bon Dieu du service
qu'il en a recu, et avec beaucoup d'ordre et de sagesse il se tire
d'affaire. Il n'est pas si fou que de sortir une seule piece de son
tresor. Ca ne donnerait plus de soupcons maintenant que l'histoire est
oubliee et les poursuites abandonnees, mais ca ferait penser qu'il
est riche et on ne lui ferait plus la charite. Voila, mes enfants,
l'histoire du pot de fer. Comment la trouvez-vous?
--Superbe! dit le notaire, et fort bonne a savoir!
Un profond silence succeda a ce recit. Les assistants se regardaient,
partages entre la surprise, l'effroi, le mepris et une sorte d'envie de
rire bizarre melee a toutes ces emotions. Cadoche, epuise par son babil,
s'etait renverse sur l'oreiller; sa face pale prenait des teintes
verdatres, sa barbe longue, raide, et encore assez noire pour assombrir
son visage terreux, achevait de le rendre effrayant. Ses yeux creux, qui
tout a l'heure lancaient des flammes pendant que l'ivresse et le delire
deliaient sa langue, semblaient rentrer dans leurs orbites et prendre
l'eclat vitreux de la mort. Sa figure accentuee, son grand nez mince et
aquilin, ses levres rentrantes, tous ses traits, qui avaient pu etre
agreables dans sa jeunesse, n'annoncaient pas un naturel feroce, mais un
melange bizarre d'avarice, de ruse, de mefiance, de sensualite, et meme
de bonhomie.
--Ah ca! dit enfin le meunier, est-ce un reve qu'il vient de faire, ou
une confession que nous venons d'entendre? Est-ce le medecin ou le cure
qu'il faut appeler?
--C'est la misericorde de Dieu! dit Lemor, qui observait plus
attentivement que tous les autres l'alteration de la face du mendiant
et la gene de sa respiration. Ou je me trompe fort, ou cet homme a peu
d'instants a vivre.
--J'ai peu d'instants a vivre? dit le mendiant en faisan
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