ut a l'heure, j'y vas, j'y
suis," mais sans quitter sa chaise. Enfin, apres avoir ete s'assurer que
Rose etait endormie ainsi que Marcelle, madame Bricolin n'en pouvant
plus, alla se coucher et s'endormit en appelant vainement son mari, qui
n'avait pas la force de bouger et qui ne l'entendait plus. Completement
ivre et aneanti comme un homme qui a fait l'effort de se degriser
soudainement, mais qui s'en est bien dedommage apres, le fermier, la
main sur son pichet et la tete inclinee sur la table, bercait de ses
ronflements energiques le sommeil accable de sa femme, couchee, la porte
ouverte, dans la piece voisine.
Une heure s'etait a peine ecoulee lorsque M. Bricolin se sentit suffoque
et pret a tomber en defaillance. Il eut beaucoup de peine a se lever. Il
lui semblait que l'air manquait a ses poumons, que ses yeux cuisants ne
pouvaient plus rien discerner, et qu'il etait frappe d'apoplexie. La
peur de la mort lui rendit la force de se trainer a tatons jusqu'a la
porte, qui donnait sur la cour; la chandelle avait fini de se consumer
dans son cercle de fer-blanc.
Ayant reussi a ouvrir et a descendre sans tomber les degres qui
formaient une sorte de perron grossier au chateau neuf, le fermier
promena autour de lui un regard hebete, sans rien comprendre a ce qu'il
voyait. Une clarte extraordinaire qui remplissait la cour le forca a
mettre la main devant son visage; car le passage des tenebres a cette
lueur ardente lui causait de nouveaux vertiges. Enfin, l'air dissipant
un peu les fumees du vin, l'espece d'asphyxie qu'il avait eprouvee fit
place a un frisson convulsif, d'abord machinal et tout physique, mais
bientot produit par une terreur inexprimable. Deux grandes gerbes de
feu, se faisant jour a travers des nuages de fumee, sortaient du toit de
la grange.
Bricolin crut faire un mauvais reve; il se frotta les yeux, il se secoua
tout le corps; toujours ces jets de flamme montaient vers le ciel et
prenaient, avec une effroyable rapidite, un developpement immense. Il
voulut crier _Au feu!_ sa langue etait paralysee et son gosier inerte.
Il essaya de retourner vers la maison dont il s'etait eloigne de
quelques pas sans savoir ou il allait. Il vit sur sa droite des torrents
de flammes sortir des etables, sur sa gauche une autre gerbe de feu
couronner les tours du vieux chateau, et devant lui... sa propre maison
illuminee a l'interieur d'une clarte fantastique, et la porte qu'il
avait laissee ouverte derriere lui vomiss
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