ant des tourbillons noirs,
comme la bouche d'une forge. Tous les batiments de Blanchemont etaient
la proie d'un incendie magnifiquement dispose. Le feu avait ete mis en
plus de douze endroits differents, et ce qu'il y avait de plus sinistre
dans le premier acte de cette scene etrange, c'est qu'un silence de
mort planait sur tout cela. Bricolin, prive de force et de volonte,
contemplait dans une effroyable solitude un desastre dont personne ne
s'apercevait encore. Tous les habitants du chateau neuf et de la
ferme avaient passe du sommeil produit par la fatigue ou l'ivresse
a l'asphyxie produite par la fumee. Les craquements de l'incendie
commencaient seuls a se faire entendre et les tuiles a tomber avec un
bruit sec sur le pave. Pas un cri, pas une plainte ne repondait a ces
avertissements sinistres. Il semblait que l'incendie n'eut plus a
devorer que des batiments deserts ou des cadavres. M. Bricolin se
tordit les mains, et resta muet et immobile, comme si, accable par le
cauchemar, il eut fait de vains efforts interieurs pour se reveiller.
Enfin, un cri percant s'eleva, un seul cri de femme, et Bricolin, comme
delivre du charme qui pesait sur lui, repondit par un hurlement sauvage
a cet appel de la voix humaine. Marcelle s'etait apercue la premiere du
danger; elle s'elanca dehors, portant son fils dans ses bras. Sans voir
Bricolin ni le reste de l'incendie, elle deposa l'enfant sur un tas de
foin au milieu de la cour, et lui disant d'une voix forte: "Reste la!
n'aie pas peur," elle rentra precipitamment dans la maison, malgre la
fumee suffocante qui la remplissait, et courut au lit de Rose qui etait
restee comme paralysee, incapable de la suivre.
Alors, avec la force d'un homme, la petite et svelte blonde, exaltee par
son courage, prit sa jeune amie dans ses bras, et porta heroiquement
aupres de son fils un corps beaucoup plus lourd et plus grand que le
sien propre.
A la vue de sa fille, Bricolin, qui n'avait d'abord songe qu'a sa
recolte et a son betail, et qui avait couru du cote des granges, se
rappela qu'il avait une famille, et, degrise pour la seconde fois,
encore plus radicalement que la premiere, il vola au secours de sa mere
et de sa femme.
Heureusement le feu n'avait pris partout que par les combles, et le
rez-de-chaussee, habite par les Bricolin, etait encore intact, a
l'exception du pavillon de Rose qui, etant fort bas et au voisinage d'un
amas de fagots secs, brulait rapidement.
Madame Bricolin,
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