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ma vieille Sophie et que je ne lui tienne de beaux discours.
--Grand-Louis, dit Lemor, si vous pouvez resister a cette tentation,
n'avez-vous pas celle de regarder si ce pot de fer contient de l'or ou
des cailloux?
--J'ai souleve le couvercle, dit le meunier. Ca brille la dedans; mais
je suis fort presse de deguerpir avant le jour, avant que les habitants
de ce desert, s'il y en a, observent mes mouvements et me prennent pour
un voleur. Je suis tremblant d'emotion et de plaisir comme un homme
qui mene a bien les affaires d'autrui; mais j'ai pourtant aussi le
sang-froid d'un homme qui n'herite pas pour son compte. Filons, filons,
monsieur Henri. Avez-vous remis ma pioche dans la voiture? Attendez que
je donne un dernier coup d'oeil la dedans. Le trou est bien bouche, il
n'y parait plus, en route! nous nous reposerons dans quelque taillis si
nos betes refusent le service.
Le cheval du notaire ayant fait trois mortelles lieues de pays au grand
trot et souvent au galop dans les chemins montueux et penibles, se
trouva en effet tellement fatigue au retour, que nos voyageurs, arrives
a la hauteur du Lys-Saint-Georges, se virent obliges de le laisser
souffler. Sophie, qu'ils avaient attachee derriere le cabriolet et qui
n'etait pas habituee a marcher si follement, etait couverte de sueur.
Le coeur du meunier s'en emut--Il faut de l'humanite avec les betes,
dit-il, et puis, je ne veux pas que pour sa probite et sa sagacite dans
cette affaire, notre bon notaire perde un bon cheval. Quant a Sophie, il
n'y a pas de pot de fer qui tienne; cette vieille servante ne doit pas
faire l'office du pot de terre. Voila un joli pacage bien ombrage, ou
pas une bete ni un homme ne remuent. Entrons-y. Je suis bien sur qu'il
y a une sacoche d'avoine dans le coffre du cabriolet; car M. Tailland
pense a tout, et n'est pas homme a s'embarquer une seule fois sans
biscuit. Nous respirerons la un quart d'heure, et nous serons tous un
peu plus frais pour repartir. Malheureusement, en donnant la clef des
champs au cochon de mon oncle (en heritera qui voudra!) j'ai oublie de
lui voler quelques unes de ses croutes de pain, et je me sens l'estomac
si creux que je partagerais volontiers l'avoine de Sophie si je ne
craignais de lui faire tort. Il me semble que je ne commence guere bien
mon role d'heritier de l'avare. Je meurs de faim a cote de mon tresor.
En babillant ainsi suivant son habitude, le meunier debrida les chevaux
et leur servit le dej
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