emportant bientot sur l'orgueil du parvenu, des
qu'il vit que le vieillard bravait follement un danger reel:
--Prenez garde, dit-il au patachon en se penchant hors de sa caleche;
prenez garde de faire du mal a ce pauvre homme!
Il etait trop tard: les chevaux, exasperes d'etre fouettes d'un cote et
repousses de l'autre, avaient fait un bond furieux: ils avaient renverse
Cadoche. Grace a l'admirable instinct de ces genereux animaux, ils
franchirent son corps sans le toucher, mais les deux roues de la voiture
lui passerent sur la poitrine.
Le chemin etait sombre et desert. Il faisait trop nuit pour que M.
Ravalard put distinguer ce porteur de haillons couleur de terre, etendu
derriere sa caleche qui fuyait rapidement, le patachon lui-meme ne
pouvant maitriser ses chevaux. D'abord le bourgeois eprouva la peur de
verser; quand l'attelage se calma, le mendiant etait deja bien depasse.
--J'espere que vous ne l'avez pas renverse? dit-il a son cocher, qui
tremblait encore de peur et de colere.
--Non, non, dit le patachon convaincu ou non de ce qu'il affirmait. Il
est tombe de cote. C'est sa faute, vieille canaille! mais les chevaux
n'y ont pas touche, et il n'a pas eu de mal, car il n'a pas seulement
crie. Il en sera quitte pour la peur, et ca lui servira de lecon.
--Mais si nous retournions voir? dit M. Ravalard.
--Oh! non, non, Monsieur; pour une egratignure ces gens-la vous feraient
un proces. Il n'aurait meme rien du tout qu'il ferait semblant d'avoir
la tete cassee pour vous faire donner beaucoup d'argent. J'en ai
accroche un comme ca une fois qui a eu la patience de rester quarante
jours au lit pour se faire indemniser par mon bourgeois de quarante
jours de travail perdu. Et il n'etait pas plus malade que moi.
--Ces gens-la sont bien fins! dit M. Ravalard. Cependant, j'aimerais
mieux n'avoir jamais de caleche que d'ecraser n'importe qui. Une autre
fois, petit, il faudra s'arreter court plutot que de se disputer comme
ca; c'est dangereux.
Le patachon, qui ne se souciait pas des suites de l'affaire, fouetta
encore ses chevaux pour s'eloigner au plus vite. Il n'etait pas sans
terreur et sans remords, et il jura entre ses dents jusqu'a la fin du
voyage.
Le meunier, Lemor, la Grand'Marie et M. Tailland le notaire, sortaient
en ce moment du moulin. Lemor etait resolu a partir le lendemain; il
passait la sa derniere soiree, peu attentif a ce qui se disait autour de
lui, et contemplant, plonge dans une douce m
|