lui rendre un fameux service. Il y a une affaire
qui presse, et il faut qu'il vienne tout de suite me parler: dis-lui ca,
je l'attendrai a la porte de la grand'cour. Qu'il prenne sa jument, il
ira plus vite.
--Sa jument? il ne l'a plus; on la lui a volee.
--C'est egal, qu'il vienne, n'importe comment! l'affaire l'interesse
beaucoup.
--Et qu'est-ce que c'est que cette affaire?
--Ah! bon, il veut qu'on lui explique ca, a present! Cadoche, il y aura
une piece neuve de vingt sous pour toi, que tu pourras venir chercher
demain matin.
--A quelle heure?
--Quand tu voudras.
--J'irai a sept heures. Soyez-y, parce que je n'aime pas a attendre.
--Va donc!
--J'y vas. Je n'en ai pas pour trois quarts d'heure. Ah! c'est que j'ai
de meilleures jambes que votre mari, mere Bricolin, et pourtant j'ai dix
ans de plus.
Le mendiant partit d'un pas assez ferme en effet. Il approchait
d'Angibault, lorsqu'il se trouva dans un chemin etroit, juste devant la
caleche de M. Ravalard, conduite a grand train par le patachon roux et
mechant, qui dedaigna de lui crier gare! et poussa ses chevaux sur lui.
Il est contraire a la dignite du paysan berrichon de se deranger
jamais pour une voiture, quelque avertissement qu'il recoive, quelque
difficulte qu'il y ait a se deranger pour lui. L'oncle Cadoche etait
plus fier que qui que ce soit dans le pays. Habitue a traiter du haut de
sa grandeur, avec un serieux comique, tous ceux auxquels il tendait
une main suppliante, il affecta de ralentir son allure et de garder le
milieu du chemin, quoiqu'il sentit l'haleine ardente des chevaux sur
son epaule.--Range-toi donc, animal! cria enfin le patachon en lui
allongeant un grand coup de fouet autour du visage.
Le mendiant se retourna, et, saisissant les chevaux a la bride, il les
fit reculer si fort, qu'ils faillirent verser la voiture dans le fosse.
Alors s'engagea entre lui et le patachon furieux une lutte desesperee;
celui-ci frappant toujours de son fouet et proferant mille imprecations;
le vieux Cadoche se garantissant de ses atteintes en se baissant sous la
tete des chevaux, et les poussant toujours en leur secouant le mors avec
force, tantot les faisant reculer, tantot reculant lui-meme devant eux.
M. Ravalard avait pris d'abord des airs de grand seigneur, comme il
convient a un homme qui roule carrosse pour la premiere fois de sa vie.
Il avait jure lui-meme contre l'insolent qui osait l'arreter; mais, le
bon coeur du Berrichon l'
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