ie dans nos moeurs, dans
les idees de notre generation, impossible cent fois dans le coeur
du prince Louis-Napoleon. Je les ai trouves resignes a leur sort et
croyant, grace au systeme excessif que vous venez de reprimer, a cette
chose monstrueuse qu'ils etaient frappes pour leurs principes et non
pour leurs actes. J'ai repousse vivement cette supposition, qui m'etait
douloureuse apres ce que je vous ai entendu dire. J'ai repete que
j'avais foi en vous, et que la personnalite etait inconnue au coeur d'un
homme penetre, comme vous l'etes, d'une mission superieure aux passions
et aux ressentiments de la politique vulgaire.
J'ai dit que j'irais vous demander leur grace ou la commutation de leur
peine. Ils avaient dit non d'abord; ils ont dit oui, quand ils ont vu ma
conviction. Ils m'ont autorisee a profiter de cette offre genereuse
que vous m'avez faite et qu'il m'etait si douloureux d'etre forcee de
refuser.
Maintenant, vous n'estimeriez pas ces deux hommes si je vous disais
qu'ils retracteront leurs principes, qu'ils abandonneront leurs
sentiments. Ils ont toujours ete, ils seront toujours etrangers aux
conspirations, aux societes secretes, et la forme absolue de votre
gouvernement ne peut plus vous faire redouter l'emission publique de
doctrines que vous ne tolereriez pas.
Je prends sur moi la dette de la reconnaissance.
Vous savez que, de ma part, elle sera profonde et sincere. Ne dedaignez
pas un sentiment si rare en ce monde, et que vous trouverez peut-etre
dans les partis vaincus plus que dans ceux qui profitent de la victoire.
Prince, je me souviens de vous avoir ecrit a Ham que vous seriez
empereur un jour, et que, ce jour-la, vous n'entendriez plus parler de
moi. Vous voila huit millions de fois plus haut place qu'un empereur
d'Allemagne ou de Russie, et pourtant je vous implore. Faites que je
m'enorgueillisse de m'etre parjuree.
Peut-etre n'entrerait-il pas dans vos desseins actuels de laisser savoir
que c'est a moi, ecrivain socialiste, que vous accordez la commutation
de peine de deux socialistes. S'il en etait ainsi, croyez a mon honneur,
croyez a mon silence. Je ne confie a personne l'objet de cette lettre,
et, satisfaite d'etre fiere de vos bontes dans le secret de mon coeur,
je n'en dirai jamais l'heureux resultat, si telle est votre volonte.
GEORGE SAND.
Si vous ne repoussez pas ma priere, daignez me faire savoir le moment
que vous m'accordez pour aller vous nommer les deux personnes qui
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