ecrit a Louis Blanc en meme temps qu'a vous, par
l'intermediaire de Michele. Je lui en aurais dit mon sentiment avec
franchise. Cela viendra.
Pour le moment, ce n'est pas facile, puisque je ne peux me procurer ce
malheureux ecrit, et que, d'ailleurs, les correspondances sont si peu
sures. Il est affreux de penser que nous ne pouvons laver notre linge
en famille, et que nos epanchements les plus intimes peuvent rejouir la
police de nos persecuteurs les plus acharnes.--Et puis j'arrive trop
tard dans ces debats; je suis placee trop loin des faits par ma
retraite, mon isolement, et tant d'autres preoccupations, moins
importantes certainement, mais si personnellement obligatoires, que je
ne peux m'y soustraire.
Enfin, mes amis, m'ecouteriez-vous si j'arrivais a temps pour retenir
vos plumes irritees et brulantes? Helas! non. Il y a dix ans que je crie
dans le desert que les divisions nous tueront. Voila qu'elles nous ont
tue, et qu'on s'egorge encore, tout sanglants et couches sur le champ de
bataille! quel affreux temps! quel affreux vertige!
Mon ami, fachez-vous contre moi tant que vous voudrez. Pour la premiere
fois, je vais vous faire un reproche. Vous avez mal fait de provoquer ce
crime commis envers vous. Vous voyez, je ne mache pas le mot, c'est
un crime, s'il est vrai qu'on vous accuse de lachete, de trahison,
d'ambition meme.
J'ai la conviction, la certitude que vous ne savez ce que c'est que
l'ambition personnelle, et que votre ame est sainte dans ses passions et
dans ses instincts comme dans ses principes. On ne peut, sans etre en
proie a un acces de folie, douter de la purete de votre caractere. Mais
n'est-ce pas une faute, une faute grave de provoquer un acces de folie
chez son semblable, quel qu'il soit? Ne deviez-vous pas prevoir cette
reaction de l'orgueil blesse, du patriotisme saignant, de la doctrine
intolerante si vous voulez, chez des hommes qu'une defaite epouvantable,
_l'abandon du pays_, vient de frapper dans ce qui faisait tout leur
etre, toute leur vie? Etait-ce le moment de retourner sans pitie le fer
dans la plaie et de leur crier: "Vous avez perdu la France!"
Vos reproches vous paraissent si justes, que vous regardez comme un
devoir de les avoir exprimes, en depit de la solidarite qu'il eut ete
beau de ne pas rompre violemment au milieu d'un desastre horrible, en
depit du sentiment chretien et fraternel qui devrait dominer tout dans
le parti de l'avenir, en depit enfin des convenances
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