ple incertain
et trouble: "Laissez-moi faire, je vais chatier les assassins de votre
droit; donnez-moi tous les pouvoirs, je ne veux les tenir que de vous,
de vous tous, afin de consacrer que le premier de tous ces pouvoirs,
c'est le votre!" Et, le peuple a tendu les mains en disant: "Soyez
dictateur, soyez le maitre. Usez et abusez; nous vous recompensons ainsi
de votre deference."
Cela, voyez-vous, c'est dans le caractere de la masse, parce que c'est
dans le caractere de tout individu formant la masse de ce proletariat
dans l'enfance. Il a les instincts de l'esclave revolte, mais il n'a pas
les facultes de l'homme libre. Il veut se debarrasser de ses maitres,
mais c'est pour en avoir de nouveaux; fussent-ils pires, il s'en
arrangera quelque temps, pourvu que ce soit lui qui les ait choisis, il
croit a leur reconnaissance, parce qu'il est bon, en somme! Voila la
verite sur la situation. On ne corrompt pas, on n'epouvante pas une
nation en un tour de main. Ce n'est pas si facile qu'on croit; c'est
meme impossible. Tout le talent des usurpateurs est de tirer parti d'une
situation; ils n'en auront jamais assez pour creer du jour au lendemain
cette situation.
Depuis les journees de juin 1848 et la campagne de Rome, j'avais vu tres
clair, non par lucidite naturelle, mais par l'absence involontaire et
invincible d'illusions, dans cette disposition des masses. Vous m'avez
vue sans espoir depuis ces jours-la, predisant de grandes expiations;
elles sont arrivees. Il m'en a coute de passer d'immenses illusions a
cette desillusion complete. J'ai ete desolee, abattue; j'ai eu mes jours
de colere et d'amertume, alors que mes amis, ceux qui etaient encore au
sein de la lutte parlementaire, comme ceux qui faisaient deja les reves
de d'exil, se flattaient encore de la victoire. Quand une nation a donne
sa demission devant des questions d'honneur et d'humanite, que peuvent
les partis? Les individus disparaissent, ils sont moins que rien.
En tant que nation active et militante, la France a donc donne sa
demission. Mais tout n'est pas perdu; elle a garde, elle a sauve la
conscience, l'appetit, si vous voulez, de son droit de legislature.
Elle veut s'initier a la vie politique a sa maniere; nous aurons beau
fouetter l'attelage, il n'ira jamais que son pas.
A present, ecoutez, mon ami, ecoutez encore, car ce que je vous dis, ce
sont des faits, et la passion les nierait en vain. Ils sont clairs comme
le soleil. Cinq a six millions d
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