eparpillant ses voix sur d'autres candidats. Il n'avait
qu'un but, qu'une volonte sur toute la ligne: se grouper en faisceau
immense, en imposante majorite pour maintenir sa volonte. Un peuple
n'abandonne pas en si peu d'annees l'objet de son engouement, il ne se
donne pas un dementi a lui-meme. Depuis trois ans, la majorite du peuple
de France n'a pas bronche. Je ne parle pas de Paris, qui forme une
nation differente au sein de la nation, je parle de cinq millions de
voix au moins, qui se tenaient bien compactes sur tous les points du
territoire, et toutes pretes a maintenir le principe de delegation en
faveur d'un seul. Voila la seule lumiere que la masse ait acquise, mais
qui lui est bien et irrevocablement acquise. C'est sa premiere dent.
Ce n'est qu'une dent, mais il en poussera d'autres, et le peuple, qui
apprend aujourd'hui a faire les empereurs, apprendra fatalement par la
meme loi a les defaire.
Notre erreur, a nous socialistes et politiques, tous tant que nous
sommes, a ete de croire que nous pouvions en meme temps initier et
mettre en pratique. Nous avons tous fait une grande chose, et il faut
qu'elle nous console de tout: nous avons initie le peuple a cette idee
d'egalite des droits par le suffrage universel. Cette idee, fruit de
dix-huit ans de luttes et d'efforts, sous le regime constitutionnel,
idee deja soulevee sous la premiere revolution, etait mure, tellement
mure, que le peuple l'a acceptee d'emblee et qu'elle est entree dans sa
chair et dans son sang en 1848. Nous ne pouvions pas, nous n'aurions pas
du esperer davantage.
De la possession d'un droit a l'exercice raisonnable et utile de ce
droit, il y a un abime. Il nous eut fallu dix ans d'union, de vertu, de
courage et de patience, dix ans de pouvoir et de force, en un mot, pour
combler cet abime. Nous n'avons pas eu le temps, parce que nous n'avons
pas eu l'union et la vertu; mais ceci est une autre question.
Quelle que soit la cause, le peuple, depuis trois ans, n'a fait que
reculer dans la science de l'exercice de son droit; mais aussi il a
avance dans la conscience de la possession de son droit. Ignorant des
faits et des causes, trop peu capable de suivre et de discerner les
evenements et les hommes, il a juge tout en gros, en masse. Il a vu une
assemblee elue par lui se suicider avec rage, plutot que de laisser
vivre le principe du suffrage universel. Un dictateur s'est presente les
mains pleines de menaces et de promesses, criant a ce peu
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