point de vue du pouvoir, cette
solution etait inevitable parce qu'elle etait logique. C'eut ete pour
moi une consolation si grande que de revoir mes amis. J'espere encore,
malgre tant d'attentes decues, que l'Empire ne persistera pas a venger
les querelles de l'ancienne monarchie, et d'une bourgeoisie dont il a
renverse le pouvoir.
Ecrivez-moi, mon ami; que quelques lignes de vous me disent si vous
souffrez physiquement, si vous etes toujours soumis a ce cruel regime
de la chambree, si contraire au recueillement de l'ame et au repos du
corps. Je ne suis pas en peine de votre courage; mais le mien faiblit
souvent au milieu de l'amere pensee de la vie qui vous est faite. Je
sais que la n'est point la question pour vous et que votre horizon
s'etend plus loin que le cercle etroit de cette triste vie. Mais, si
l'on peut tout accepter pour soi-meme, il n'est pas aise de se soumettre
sans douleur aux maux des etres qu'on aime.
Je suis toujours a la campagne, n'allant a Paris que rarement et pour
des affaires. Mon fils y passe maintenant une partie de l'annee pour
son travail; mais il est en ce moment pres de moi et me charge de vous
embrasser tendrement pour lui. J'ai une charmante petite fille (la fille
de ma fille), dont je m'occupe beaucoup.
Voila pour moi. Et vous? et vous? Pourquoi ai-je ete si longtemps sans
avoir de vos nouvelles? C'est que tous nos amis ont ete disperses ou
absents. J'ignore meme quand et comment ceci vous parviendra; j'ignore
si vous pouvez ecrire ouvertement a vos amis, et si leurs lettres vous
arrivent.
Mais, que je puisse ou non vous le dire, ne doutez jamais, cher ami, de
mon amitie pleine de veneration, et inalterable.
GEORGE.
CCCLX
A M. THEOPHILE SILVESTRE, A PARIS
Nohant, janvier 1853.
Monsieur,
Je saisis avec plaisir l'occasion que vous m'offrez de vous encourager
dans un travail dont M. Eugene Delacroix est l'objet, puisque vous
partagez l'admiration et l'affection qu'il inspire a ceux qui le
comprennent et a ceux qui l'approchent.
Il y a vingt ans que je suis liee avec lui et par consequent heureuse de
pouvoir dire qu'on doit le louer sans reserve, parce que rien dans la
vie de l'homme n'est au-dessous de la mission si largement remplie du
maitre.
D'apres ce que vous me dites, ce n'est pas une simple etude de critique
que vous faites, c'est aussi une appreciation morale. La tache vous sera
douce et facile, et je n'ai probable
|