tous les elements
possibles, est un parti indigne de son principe et incapable, pour toute
une generation, de le faire triompher. Si vous connaissiez la France,
tout ce que vous savez de l'etat des idees, des ecoles, des nuances,
des partis divers a Paris vous paraitrait beaucoup moins important
et nullement concluant. Vous sauriez, vous verriez que, grace a une
centralisation exageree, il y a la une tete qui ne connait plus ses
bras, qui ne sent plus ses pieds, qui ne sait pas comment son ventre
digere et ce que ses epaules supportent.
Si je vous disais que, depuis quatre mois et demi, je fais des
demarches, des lettres, j'agis nuit et jour pour des hommes que je
voudrais rendre a leurs familles infortunees, que je plains d'avoir tant
souffert, que j'aime comme on aime des martyrs quels qu'ils soient, mais
que je suis quelquefois epouvantee de ce que ma pitie me commande, parce
que je sais que le retour de ces hommes mauvais ou absurdes est un mal
reel pour la cause, et que leur absence eternelle, leur mort, c'est
affreux a dire, serait un bienfait pour l'avenir de nos idees, qu'ils en
sont les fleaux, que leur parole en eloigne, que leur conduite repugne
ou fait rire, que leur paresse bavarde est une charge, un impot, pour de
meilleurs qui travaillent a leur place et qui ne disent rien! Il y a des
exceptions, je n'ai pas besoin de vous le dire; mais combien peu qui
n'aient pas merite leur sort! Ils sont victimes d'une effroyable
injustice legale; mais, si une republique austere faisait une loi pour
eloigner du sol les _inutiles_, les exploiteurs de popularite, vous
seriez effraye de voir ou on les recruterait forcement.
Soyons indulgents, misericordieux pour tous. Je nourris de mon travail
les vaincus, quels qu'ils soient, ceux qui avaient Ledru-Rollin pour
drapeau, comme les autres, ni plus ni moins; je combats de tous mes
efforts leur condamnation et leur misere; je n'aurai pas une parole
d'amertume ou de reproche pour ceux-ci ou pour ceux-la. Tous sont
egalement malheureux, presque tous egalement coupables; mais je vous
donne bien ma parole d'honneur, et sans prevention aucune, que les plus
fermes, les meilleurs, les plus braves ne sont pas plus dans le camp ou
vous vous etes jete que dans celui que vous avez maudit. Je pourrais,
si je consultais ma propre experience, vous affirmer meme que ceux qui
juraient le plus haut ont ete les plus prudents; que ceux qui criaient:
"Ayez des armes et faites de la poudre!" n
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