u connais Savine, tu comprends donc sans qu'il soit besoin que je te
le dise que je ne l'aime pas. Savine mourra sans avoir jamais aime
et sans avoir jamais ete aime; peut-etre, quand il sera vieux, le
regrettera-t-il, mais il sera trop tard. Cependant malgre son egoisme,
son avarice, sa secheresse de coeur, sa mechancete, sa durete, sa
lachete, malgre tous les defauts et tous les vices qui font de lui un
des plus vilains masques qu'on puisse rencontrer, je tiens a lui...
parce qu'il m'est necessaire. Si je pouvais aimer; je n'aurais jamais
ete sa maitresse; mais, dans les dispositions ou je suis, mieux vaut lui
qu'un autre; au moins il a une qualite: la richesse, et, bien qu'il y
tienne terriblement, a cette richesse, on peut avec un peu d'habilete
lui en extraire de temps en temps quelques bribes. De ces bribes je n'ai
pas assez et il me faut quelques annees encore pour atteindre le chiffre
que je me suis fixe, car, avec lui, le travail d'extraction est d'un
difficile que tu n'imaginerais jamais, toi qui es la generosite meme.
Aussi, quand j'ai appris le bruit qu'on faisait courir de son mariage,
tu peux te representer l'etat dans lequel cela m'a jetee; on ne perd
pas ainsi un homme qui vous fait la femme la plus enviee de Paris. Tout
d'abord je me suis refusee a admettre que ce mariage fut possible, car
je croyais bien connaitre mon Savine, et ce qui s'est passe m'a donne
raison; mais devant la persistance de ce bruit j'ai fini par m'inquieter
un peu, puis beaucoup, et alors j'ai eu l'idee d'empecher ce mariage si
je le pouvais. Avant tout il me fallait savoir quelle etait celle que
Savine voulait epouser, et j'ai envoye un homme dont j'etais sur faire
une enquete ici.
--Il suffit, dit Roger, je comprends maintenant ou tend cet entretien,
restons-en la; je ne veux pas en entendre davantage; j'en ai deja trop
entendu.
--Il faut que tu m'entendes, dit-elle, il le faut, au nom de ton
honneur.
--Mon honneur ne regarde que moi seul, et je ne permets a personne d'en
prendre souci.
--Quand tu sais qu'il est en danger, oui; mais quand tu ne sais pas
qu'il est menace, ne permets-tu pas qu'on t'avertisse? Je t'ai dit que
je ne voulais pas parler de... de celle que tu aimes, tu peux donc
m'entendre sans craindre que mes paroles soient un outrage pour elle;
mais il y a plus: tu dois m'entendre, tu le dois pour ton nom, dont tu
es si justement fier, pour ton bonheur. Quand on se marie on prend
des renseignements sur la f
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