ns-tu comme elle m'exalte, comme elle m'eleve au-dessus de
toutes les considerations si sages et si petites de ce monde? Jusqu'a ce
jour je n'ai eu qu'un orgueil, celui de ma beaute; on m'a tant dit que
j'etais belle, on m'a montre tant d'enthousiasme, tant d'admiration,
que j'ai cru... quelquefois que j'etais au-dessus des autres femmes; au
moins je l'ai cru pour la beaute, car pour tout le reste je savais bien
que je n'etais qu'une fille tres ordinaire. Mais voila que tu m'aimes,
voila que je t'aime, que je t'aime passionnement, plus que tout au
monde, plus que ma reputation, plus que mon honneur, plus que tout, et
voila que c'est par mon amour que je deviens superieure aux autres,
puisque je fais ce que nulle autre sans doute n'oserait faire a ma place
et m'en glorifie.
Elle le regarda un moment; ses yeux lancaient des flammes, sa poitrine
bondissait, elle etait transfiguree par la passion.
--C'est que j'ai foi en toi, continua-t-elle, et que je sais que tu
m'acceptes comme je me donne,--entierement. Ou tu voudras que j'aille,
j'irai; ce que tu voudras, je le voudrai. Je n'aurai pas d'autre volonte
que la tienne, d'autres desirs que les tiens, d'autre bonheur que le
tien; heureuse que tu m'aimes, ne demandant rien, n'imaginant rien, ne
souhaitant rien que ton amour. Si tu savais comme j'ai besoin d'etre
aimee; si tu savais que je ne l'ai jamais ete... par personne, tu
entends, par personne, et que mon enfance a ete aussi triste, aussi
delaissee que la tienne.
Comme il la regardait dans les yeux, elle detourna la tete.
--Ne parlons pas de cela, dit-elle, je veux plutot t'expliquer comment
j'ai pris cette resolution.
Elle avait jusqu'alors parle debout; elle attira un fauteuil et s'assit,
tandis que Roger prenait place devant elle sur une chaise, lui tenant
les mains dans les siennes, penche vers elle, aspirant ses paroles et
ses regards.
--C'est aussitot apres avoir lu ta lettre et quand ma mere m'a donne
celle que tu lui ecrivais que je me suis decidee. Comme elle m'annoncait
qu'elle venait a Paris pour dissiper le malentendu qui s'etait eleve
entre vous, je lui ai demande a l'accompagner, devinant bien qu'il
ne s'agissait point d'un malentendu comme elle disait et que rien ni
personne ne te ferait revenir sur cette rupture, que tu n'avais pu
arreter qu'apres de terribles combats, force par des raisons qui ne
changeraient pas. Elle a consenti a mon voyage. Nous sommes arrivees ce
matin, et elle m'a dit q
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