tait
mieux qu'il la remit a quelqu'un de la maison sans explication.
Lorsque l'enveloppe dans laquelle il avait place ces lettres fut fermee,
il la garda longtemps devant lui, ne pouvant pas l'envoyer a la poste:
c'etait sa vie, son bonheur, qu'il allait sacrifier, son amour.
Jamais il n'avait eprouve pareille douleur, pareille angoisse, et si son
coeur ne defaillait pas dans les faiblesses de l'irresolution, il se
brisait sous les efforts de la volonte.
Il fallait qu'il renoncat a celle qu'il avait aimee, qu'il aimait si
passionnement, et il y renoncait; mais au prix de quelles souffrances
accomplissait-il ce devoir!
Enfin l'heure du depart des courriers approcha! il ne pouvait plus
attendre; il prit la lettre et la porta lui-meme au bureau de la rue
Taitbout, marchant rapidement, resolument; mais, lorsqu'il la jeta dans
la boite, il eut la sensation qu'il lui en aurait moins coute de presser
la gachette d'un pistolet dont la gueule eut ete appuyee sur son coeur.
Il etait pres de la rue Le Pelletier; le souvenir de Harly se presenta a
son esprit, non de Harly son ami,--il n'avait point d'ami a cette heure
et l'humanite entiere lui etait odieuse, mais de Harly, medecin; il
monta chez lui.
En le voyant entrer, Harly vint a lui vivement.
--Quelle joie, mon cher Roger!
Mais en remarquant combien il etait pale et comme tout son visage
portait les marques d'un profond bouleversement, il s'arreta.
--Qu'avez-vous donc? Etes-vous malade? s'ecria-t-il.
--Malade, non; mort: je viens de rompre mon mariage.
Plusieurs fois Roger avait ecrit a Harly pour lui parler de ce mariage
et lui dire combien il aimait Corysandre.
--J'ai rompu, continua Roger, et j'aime celle que je devais epouser plus
que je ne l'ai jamais aimee; de son cote elle m'aime toujours, c'est
vous dire ce que je souffre. Plus tard, je vous expliquerai les raisons
de cette rupture; aujourd'hui je viens demander au medecin un remede
pour oublier et dormir, car, si j'ai eu le courage d'accomplir cette
rupture, j'ai maintenant la lachete de ne pas pouvoir supporter ma
douleur.
--Mais que voulez-vous?
--Je vous l'ai dit: oublier, dormir, ne pas penser, ne pas souffrir.
--Mais, mon ami, la douleur morale s'use par le temps; on ne la supprime
pas. Si je la suspends par le sommeil, au reveil vous la retrouverez
aussi intense qu'en ce moment.
--J'aurai dormi, j'aurai echappe a moi-meme, a mes pensees, a mes
souvenirs.
--Et apres?
--Ce
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