a vingt fois, a cent fois,
ne restant fixe qu'a un seul point, qui etait qu'il ne devait pas
retourner a Bade, car il sentait bien que, s'il revoyait Corysandre, il
n'y aurait ni volonte, ni dignite, ni honneur qui tiendraient contre
elle; et puis, que lui dirait-il, d'ailleurs? Il ne pouvait pas lui
parler de sa mere, il faudrait qu'il inventat des pretextes; lesquels?
Elle le verrait mentir, et cela il ne le voulait pas.
Il ecrirait donc.
Il fut emporte dans un tel trouble, un tel emoi, une telle angoisse, un
tumulte si vertigineux, qu'il fut tout surpris de se trouver arrive a
Paris: le temps, la distance, etant choses inappreciables pour lui.
Immediatement il se rendit chez lui et tout de suite il ecrivit ses
lettres, dont les termes etaient arretes dans sa tete.
"Madame la comtesse,
"En vous disant que je partais pour voir MM. Layton et Urquhart vous
avez compris qu'il me serait impossible de donner suite au projet de
mariage dont je vous avais entretenu. Apres avoir vu ces deux messieurs,
je vous confirme cette impossibilite.
"NAUROUSE."
Puis il passa a la lettre de Corysandre; mais, avant de pouvoir poser
la plume sur le papier, il la laissa tomber plus de dix fois, l'esprit
affole, le coeur defaillant:
"Je vous aime, chere Corysandre, et c'est sous le coup de la plus
affreuse, de la plus grande douleur que j'aie jamais eprouvee que je
vous ecris.
"Nous ne nous verrons plus.
"Cependant mon amour pour vous est ce qu'il etait hier, plus profond
meme, et ce que je vous disais en me separant de vous, je vous le repete
en toute sincerite: Je vous aime, je vous adore.
"Mais l'implacable fatalite nous separe et il n'y a pas de volonte
humaine qui puisse nous reunir.
"Adieu; mon dernier mot sera celui qui a commence cette lettre, celui
qui remplit ma vie: je vous aime, chere Corysandre.
"ROGER."
Cette lettre ecrite, il la relut, et il voulut la dechirer, car elle ne
disait nullement ce qu'il voulait dire; mais, quand il la recommencerait
dix fois, vingt fois, a quoi bon, puisque, ce qui etait dans son coeur,
il ne pouvait justement pas l'exprimer.
Il avait decide que ce serait Bernard reste a Bade qui porterait
ces deux lettres, et, en les envoyant a celui-ci, il lui donna ses
instructions qu'il precisa minutieusement: tout d'abord, Bernard devait
porter la lettre adressee a Corysandre et la remettre lui-meme aux mains
de mademoiselle de Barizel; quand a celle de madame de Barizel, il e
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